Tout est parti d’une rencontre qu’elle a faite dans un vol qui l’emmenait de Paris à New Dehli. Aux côtés de la journaliste Louise Audibert dans l’avion, un livreur un peu particulier avec qui elle entame la conversation. Il lui confie détenir, dans son simple bagage à main, les plus petits passagers clandestins qui soient : des embryons humains. Des embryons cryogénisés, c’est à dire congelés dans l’azote liquide, à moins 196 degrés.
Mais pourquoi les promener dans les airs, me demanderez-vous ? C’est ce qui fait tout l’intérêt de cette enquête : elle met la lumière sur l’un des maillons de l’immense chaine de production que constitue la Gestation Par Autrui. La GPA.
Ces embryons, conçus en éprouvette à un endroit du globe, sont tout simplement déracinés pour être implantés dans un nouvel univers, temporaire, le corps, et si possible pas le cœur, d’une mère porteuse. Une femme, qui, presque toujours pour de l’argent, portera cet enfant, tachera d’obéir aux consignes qui lui seront données, fera en sorte d’honorer le contrat qu’elle aura signé, mais surtout essayera, à son cœur défendant, de ne pas s’attacher à celui ou celle qui prend vie, et grandit, en son sein et sa vie.
À Kiev, en Ukraine, l’un des pays où le marché de la GPA est le plus développé, la journaliste a rencontré Katarina, qui a été mère porteuse pour un couple égyptien. Au troisième mois de grossesse, Katarina a dû quitter sa propre famille et s’installer chez les commanditaires pour mettre au monde, dans leur pays, la petite fille portée pour eux. Elle raconte avoir subi une césarienne sans péridurale, avoir vu et entendu pleurer le bébé, mais n’avoir pas voulu la prendre dans ses bras, car sinon, confie-t-elle, elle savait ne plus vouloir, ou pouvoir, la donner.
La réalité de la GPA, c’est aussi celle-là. Ces embryons humains sont figés dans le temps. Parfois, ils ont été conçus totalement hors-sol, "hors- corps", car issus d’hommes et de femmes qui ne se connaissent même pas et ne seront jamais les parents de l’enfant en question. Nous sommes entrés dans l’ère du "bébé Amazon", ce bébé qu’on commande assis derrière son ordinateur. En achetant ici du sperme, là-bas une donneuse d’ovocytes, ailleurs, encore, une mère porteuse. En enrichissant, au passage, nombre d’intermédiaires, selon les pays, depuis les cliniques high tech à but lucratif qui ont pignon sur rue aux sordides "usines à bébé" dans lesquelles des femmes sont exploitées.
Nous sommes là dans l’œil d’un marché (in)humain, mondial et colossal.
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