Transmettre la mémoire se fait de diverses manières. Que transmettre ? Que souhaitons-nous conserver de nos proches, de notre histoire familiale, de nos racines ? Annabelle Oliva est co-fondatrice de l'agence Retrace qui accompagne toute personne désireuse de mettre en lumière un patrimoine. Au micro d'Yves Thibaut de Maisières, elle explique la notion de mémoire et sa nécessité pour réconcilier le passé, le présent et le futur.
J’ai cofondé avec mon amie et associée Julie Waseige l'agence Retrace il y a un peu plus de trois ans. C'est une agence de mise en valeur du patrimoine historique, archéologique et artistique. On offre des services à des publics variés (ASBL, fondations, entreprises, particuliers) qui souhaiteraient retracer et mettre en valeur leurs patrimoines, leurs histoires. Pour ces clients, nous faisons des recherches et puis nous créons un support de communication de leur choix (le plus souvent des livres, mais ça peut également être des panneaux didactiques au sein d'une demeure historique, un livre, une vidéo...).
Ce sont deux mots que l'on va avoir tendance à utiliser de manière interchangeable, alors qu'il y a quand même une nuance très importante. Tout d’abord, l'histoire, elle va s'évertuer à dépeindre un portrait le plus exact et le plus objectif possible d'un passé en la décrivant de manière froide. Ça implique nécessairement de considérer différents points de vue de différents témoins.
La mémoire, elle, va plutôt s'intéresser au point de vue privilégié d'un individu ou d'une communauté. Elle est beaucoup plus émotionnelle que l'histoire. Elle met en valeur des principes, certaines valeurs aussi, contrairement à l'histoire. La mémoire, c'est donc justement cette portion que l'on souhaite garder dans le présent à tout prix pour pouvoir la transmettre au futur. Il n'y a rien de plus naturel en effet que le passage du temps. C'est une expérience universelle à laquelle on est tous confrontés. Notre objet d'étude qu’est ce passé, in fine il disparaît.
La mémoire, c'est cette portion d'histoire que l'on souhaite garder dans le présent à tout prix pour pouvoir la transmettre dans le futur.
L’un des premiers historiens et philosophes qui s'est intéressé à cette question, c'est Maurice Halbwachs qui, déjà en 1925, a publié un ouvrage qui s'intitule « Les cadres sociaux de la mémoire ». Et donc, avec mon associée, on s'est intéressé à certains de ses propos pour comprendre ce qu'était la mémoire ; c'est aussi le cœur de notre activité.
Ce philosophe nous dit que "tout souvenir, si personnel soit-il - même ceux des événements dont nous seuls avons été les témoins - même ceux de pensées et de sentiments inexprimés, sont en rapport avec un ensemble de notions que beaucoup d'autres ont en commun. En fait, toute la vie matérielle et morale des sociétés dont nous faisons partie, ou dont nous avons fait partie. Cela signifie que nos souvenirs - même les plus personnels - n'apparaissent qu'à travers notre interaction sociale. D'où la nécessité de cette dynamique collective pour faire naître le souvenir et la mémoire.
La raison est essentiellement liée à la notion d'identité. Alors comment se transmet la mémoire ? Et bien essentiellement par la préservation des traces du passé qui sont fragiles. Ces traces du passé que l'on préserve sont de deux natures en particulier. Premièrement, il y a évidemment les archives. On voit à l'heure actuelle une prolifération des archives, une accumulation et grâce aux nouvelles technologies en particulier, nos vies sont fortement documentées ; on préserve de plus en plus de traces écrites. A côté des archives, que préserve-t-on encore ? Et bien, il y a le patrimoine.
Alors même la notion de patrimoine, sa définition a évolué au fil du temps. Vers le milieu du 20e siècle, on voit dans les conventions internationales que le patrimoine équivaut essentiellement aux sites historiques assez majestueux, qui marquent les esprits.
Aujourd'hui notre notion du patrimoine s'est considérablement élargie. L'un des exemples les plus récents qu'on peut citer, c'est l'entrée dans la convention de 2003 à l'UNESCO du concept de patrimoine culturel immatériel. Depuis la promulgation de cette convention, la notion de patrimoine se comprend donc au sens très large, matériel et immatériel (qui comprend les traditions, les expressions vivantes, les traditions orales, les arts du spectacle, les rituels, les événements festifs, les savoir-faire...).
On a tous une mémoire à transmettre. Cette mémoire peut se situer aussi bien au niveau familial, qu'au niveau entrepreneurial.
Nous aidons des particuliers, des privés qui souhaitent mettre de l'ordre dans une masse d'archives accumulées, et recréer une histoire qui sera intelligible pour les générations suivantes. Le premier projet qui nous avait été confié, c'est une biographie. Celle de Léon Eeckman qui s'intitule "La tête froide et le cœur battant", publié aux éditions Snoeck. La demande de la famille était de retracer la vie de celui qui fut le père et le grand-père de nos clients.
Pour cette biographie, nous avons effectué de nombreuses recherches, non seulement dans les archives familiales pendant de longues semaines, mais aussi dans des archives publiques - par exemple au ministère de la Défense et au musée de l'armée, étant donné que Léon Eeckman a été volontaire de guerre durant 14-18, et résistant durant la seconde guerre mondiale. Notre mission a été de retracer la vie de cette personnalité. Grâce à lui, nous avons pu revisiter une partie non négligeable de notre histoire belge, bien qu'il ne fut pas très célèbre. D'une certaine manière, c'était la petite histoire au service de la grande histoire ! La vie de cet individu a été bien remplie : il était en réalité entrepreneur, chef d'entreprise et cofondateur de différents mouvements artistiques. On s'est rendu compte de combien sa vie était passionnante.
D'un point de vue matériel, nous consultons les photos, les objets, mais pas que ! Il y a également les pierres qui parlent. En tant qu'archéologue de formation, ça me tient à cœur. On a travaillé pour la ferme Millecamps, située à Rebecq dans le Brabant wallon. Et là, on a réussi, notamment grâce aux archives - mais aussi grâce à l'archéologie du bâti - à retracer l'histoire de la ferme. Dans ce projet, il y avait de l'observation in situ, aérienne, on a utilisé la technologie du drone pour bien survoler le bâti et pouvoir en tirer de beaux clichés qui ont permis d'illustrer l'ouvrage que l'on a créé pour les propriétaires des lieux.
Plus d'informations sur l'agence Retrace : https://retrace.agency/
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