Véronique Margron reprend quelques lignes de la lettre d'une mère juive à son fils en 1941, tirée de l'ouvrage "Vie et Destin" de l'immense écrivain russe Vassili Grossman. Une lettre bouleversante sur la jeunesse, la mort et peut être au final l'espérance. Une leçon d'humilité nécessaire par les temps qui courent.
« Je suis sûre, Vitia, que cette lettre te parviendra, bien que je sois derrière la ligne de front et derrière
les barbelés du ghetto juif. Je ne recevrai pas ta réponse car je ne serai plus de ce monde. Je veux que
tu saches ce qu’ont été mes derniers jours, il me sera plus facile de quitter la vie à cette idée. »
Ces lignes sont de l’immense écrivain russe Vassili Grossman dans Vie et Destin. Elles en constituent
le cœur : une lettre de douze pages, Lettre d’une mère juive, Ekaterina Savelievna, à son fils en 1941,
quelques jours avant qu'elle ne soit assassinée en compagnie des 30 000 juifs que compte la petite
ville ukrainienne de Berditchev. Elle raconte l’entrée des Allemands dans la ville, la création du
ghetto. Elle a fait comme tout le monde. Elle a pris ses petites affaires, des photos de famille, un
recueil de Pouchkine, un Maupassant en français – Une Vie –, un petit dictionnaire et un livre de
nouvelles de Tchékov. Elle soigne dans le ghetto ou donne des leçons de français et fait des petits
travaux. Elle espère et elle a peur, si peur.
Ce matin encore, seuls les mots des autres, de grands qui ont habité et traversé l’horreur
m’apparaissent justes
Permettez-moi alors, chers amis, de poursuivre la lecture de quelques lignes de la lettre à Vitia.
"Que d'enfants ici, des yeux merveilleux, des cheveux bruns et bouclés, il y a sûrement parmi eux de
futurs savants, des professeurs de médecine, des musiciens, des poètes peut-être.
Je les regarde quand ils courent le matin à l'école, ils ont un air sérieux qui n'est pas de leur âge, et
leurs yeux tragiques leur mangent le visage. Parfois ils se battent, se disputent, rient, mais cela est
encore pire.
On dit que les enfants sont notre avenir, mais que peut-on dire de ces enfants-là ? Ils ne deviendront
pas musiciens, cordonniers, tailleurs. Et je me suis représenté très clairement cette nuit comment ce
monde bruyant de papas barbus et affairés, de grands-mères grognons, créatrices de gâteaux au miel
et de cous d'oie farcis, ce monde aux rituels de mariage compliqués, ce monde des proverbes et des
jours de sabbat, je me suis représenté comment ce monde disparaîtrait à jamais sous terre ; après la
guerre la vie reprendra et nous ne serons plus là, nous aurons disparu comme ont disparu les
Aztèques..."
« Comment finir cette lettre ? Où trouver la force pour le faire, mon chéri ? Y-a-t-il des mots en ce
monde capables d’exprimer mon amour pour toi ? Je t’embrasse, j’embrasse tes yeux, ton front, tes
yeux : Souviens-toi qu’en tes jours de bonheur et qu’en tes jours de peine, l’amour de ta mère est avec
toi, personne n’a le pouvoir de le tuer, Vitenko…Voilà la dernière ligne de la dernière lettre de ta
maman. Vis, vis, vis toujours… »
Véronique Margron
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