Précurseur et visionnaire de l’écologie politique, Ivan Illich proposait qu’on ne se déplace jamais à plus de 80 km/h. François Mandil invite à se mettre à son école pour "retrouver un rythme biologique naturel" et "accorder du temps à l’essentiel".
Je vous ai déjà plusieurs parlé d’Ivan Illich, un des grands précurseurs et visionnaire de l’écologie politique. Considéré comme utopiste, voire farfelu, de son vivant, ses écrits apparaissent de plus en plus comme particulièrement opportuns, quelques décennies plus tard.
Dans « Energie et équité », publié en 1973, Ivan Illich proposait qu’on ne se déplace jamais à plus de 80 km/h. Il faut vraiment lire ce petit essai dans lequel Illich démontre à quel point la voiture individuelle est une illusion de liberté et d’émancipation.
« L'Américain moyen consacre plus de mille six cents heures par an à sa voiture. Il y est assis, qu'elle soit en marche ou à l'arrêt ; il la gare ou cherche à le faire ; il travaille pour payer les traites mensuelles, l'essence, les péages, l'assurance, les impôts et les contraventions. De ses seize heures de veille chaque jour, il en donne quatre à sa voiture, qu'il l'utilise ou qu'il gagne les moyens de le faire. Ce chiffre ne comprend même pas le temps passé à l'hôpital, au tribunal ou au garage. [Avec ces 1600 heures, il peut] parcourir dix mille kilomètres ; cela représente à peine 6 kilomètres à l'heure. Dans un pays dépourvu d'industrie de la circulation, les gens atteignent la même vitesse, mais ils vont où ils veulent à pied, en y consacrant non plus 28 %, mais seulement 3 à 8 % du budget-temps social. Sur ce point, la différence entre les pays riches et les pays pauvres ne tient pas à ce que la majorité franchit plus de kilomètres en une heure de son existence, mais à ce que plus d'heures sont dévolues à consommer de fortes doses d'énergie conditionnées et inégalement réparties par l'industrie de la circulation. »
Plus on accélère, plus on consomme. La voiture individuelle consomme de l’espace, du temps, de l’énergie … C’est le symbole, voire le symptôme, absolu de notre société de l’anthropocène, mais ce n’est pas le seul. S’il y a bien une chose qui est « contre-nature », c’est de s’enfermer dans une boite en métal pour se déplacer à des vitesses inhumaines en brûlant nos ressources.
La vitesse, c’est la prédation. Plus on va vite, plus il faut être « productif », et plus il faut consommer, brûler notre vie et les ressources de la terre, par les 2 bouts.
Ralentir, c’est retrouver un rythme biologique naturel. C’est pouvoir accorder du temps à l’essentiel. Vous avez tous et toutes lu des témoignages de gens partis marcher. Marcher plusieurs jours, plusieurs semaines. Notre société de vitesse a du mal à comprendre ce qui pousse de plus en plus de de monde à marcher : ce geste si ancien. Se soumettre à quelque-chose qui parait tellement monotone. Et pourtant, tous ceux et toutes celles qui ont pris le temps du pèlerinage, du vagabondage, en sont ressortis transformés.
Pour reciter Ivan Illich : « Physiquement et culturellement l'homme a lentement évolué en harmonie avec sa niche cosmique. Son image de soi appelle le complément d'un espace de vie et d'un temps de vie intégrés au rythme de son propre mouvement. L'harmonie délibérée qui accorde cet espace, ce temps et ce rythme est justement ce qui le détermine comme homme. Si, dans cette correspondance, le rôle premier est donné à la vitesse d'un véhicule, au lieu de l'être à la mobilité de l'individu, alors l'homme est rabaissé du rang d'architecte du monde au statut de simple banlieusard. »
Jeunes de la "génération climat", Alexandre Poidatz et Stacy Algrain livrent en alternance, chaque semaine, leur regard sur l'écologie et leurs clés pour changer le monde.
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