Mgr Jacques Gaillot est décédé le 12 avril dernier à l’âge de 87 ans. Stéphane Jourdain rend hommage à l’ancien évêque d’Evreux (1982-1995), dans Midi Lorraine.
RCF : Bonjour Stéphane… Aujourd’hui, on parle de Mgr Gaillot…
Mgr Gaillot l’ancien évêque d’Evreux, pendant treize ans (1982-1995), qui a ensuite été démis de sa charge par Jean-Paul II, devenant alors l’évêque du diocèse disparu de Partenia. Mgr Jacques Gaillot est mort mercredi dernier à l’âge de 87 ans, et c’est en fin d’après-midi que la nouvelle de son décès est tombée… Du coup, je lui rends hommage cette semaine.
Alors j’entends déjà certains se dire que rendre hommage à un évêque qui a été sanctionné (rien de moins), c’est un peu osé. Mais j’assume pleinement ce choix. Car avant tout, Mgr Gaillot a été démis de sa mission à Evreux, mais il n’a pas été « excommunié », ou renvoyé à l’état laïc comme pour les prêtres et évêques qui sont auteurs d’abus sexuels par exemple. Il faut refaire un peu d’histoire pour comprendre ce qui se jouait il y a près de 30 ans !
RCF : Alors Stéphane, expliquez-nous…
On est au cœur des années 1980-1990. L’Église catholique en France est en crise (déjà !), car les pratiquants sont de moins en moins nombreux, les groupes d’action catholiques ne se renouvellent plus trop, et les évêques pressentent qu’il faut une réforme. A Metz, on lance dans la seconde moitié des années 90 le Projet Pastoral Diocésain, le pape Jean-Paul II initie le jubilé de l’an 2000 avec 3 années préparatoires et les évêques de France buchent sur une lettre aux catholiques de France qui sera publiée en 1996. Mais dès 1994, des ébauches du rapport Dagens circulent… Vous voyez, on sentait un frémissement pour reprendre la main. Mais l’Église reste cette vielle dame, un peu frileuse, qui a du mal à sortir au contact de cette société. Société qui d’ailleurs est déjà en mutation rapide. Le Sida est passé par là, avec les revendications gays qui se font jour de plus en plus directement (souvenez-vous du magistral film Philadelphia qui met en lumière l’exclusion des personnes homosexuelles touchées par le fléau du Sida). Les migrants commencent à arriver et à poser des problèmes pour leur accueil dans les villes…
RCF : Mais quel rapport avec Mgr Gaillot ?
L’Église est à ce moment là encore relativement puissante dans la société, sa parole est encore écoutée, bien qu’elle commence à ne plus avoir la même audience qu’auparavant. Et voilà qu’un évêque, Mgr Jacques Gaillot, se lève et commence à s’adresser à tous, à redire la dignité de toutes les personnes qu’il rencontre : migrants, homosexuels, SDF… Tous ceux qui se sentent oubliés ou écartés par l’Institution ecclésiale, ce qui ne signifie pas qu’elles soient réellement absentes de la pastorale, même si on les laisse quand même dans un coin, voient un évêque s’intéresser officiellement à eux ! C’est du pape François avant l’heure si j’ose dire. Et en mode années 80, c’est-à-dire en plus rugueux. Mgr Gaillot ne mâche pas ses mots, il a des paroles fortes, qui dérangent, jusque dans la hiérarchie de l’Église qu’il interpelle et qui se sent à la remorque de ses idées… Mgr Gaillot est un électron libre, qui n’a certainement pas toujours eu raison, mais qui a eu le mérite de s’intéresser à tous, surtout aux exclus. Au détriment de son diocèse parfois, ce qui finira par lui valoir cette démission qui lui tombe dessus en 1995.
RCF : C’est donc plutôt pas mal, si vous osez la comparaison avec le pape François...
Oui, cet intérêt pour tous est louable. La manière de le vivre a posé problème à de nombreuses personnes, ce qui lui a valu de nombreuses inimitiés. Mais surtout, ce que je retiens, c’est que nommé évêque de Parténia, Mgr Gaillot n’a pas claqué la porte. Il est resté identique à ce qu’il était, vivant même à un moment avec des SDF…
Nombreux sont ceux qui se seraient répandu en haine contre l’institution, contre le pape, ou les autres évêques. Mgr Gaillot n’en a rien fait. Il a continué son job et sa mission. Alors qu’en face, dans l’Église, il devenait comme “pestiféré” ; j’ai le souvenir d’une session à laquelle je participais avec d’autres séminaristes qui faisaient leur service national, et apprenant que Mgr Gaillot était dans la même maison que nous, les séminaristes ont refusé de célébrer la messe avec lui. Qui sont ici ceux qui faisaient obstacle à la communion ? L’évêque électron libre ou les gens bien-pensants ?
RCF : A-t-il été réintégré après ? Ou lui a-t-on confié une autre mission ?
Non ! J’ai d’ailleurs revu Mgr Gaillot, avec qui je n’avais pas d’atomes crochus, je le précise. Je n’ai rien ni contre lui ni pour lui, mais je l’ai revu il y a quelques années chez les spiritains, à Paris, où il logeait, et il se comportait comme l’un d’entre eux, sans jouer à la star, ou sans vouloir la ramener… Il était devenu humble, ou du moins il l’était, loin de l’image qu’en donnaient les médias dans les années 90 ! Après avoir attiré la lumière par ses déclarations et ses sorties, il était à sa place, sans se victimiser ! Et je suis admiratif de cette attitude. Combien de jeunes prêtres qui sont aujourd’hui sur Tik Tok, sur YouTube ou autre, dérapent, font des burn-out, ou quittent le ministère pour certains, et ne sont pas capables de se remettre en question… Lui, Mgr Gaillot, tout évêque qu’il était, l’a fait, et il a joué le jeu en faisant profil bas…
En fait, c’est la question de l’incarnation qui est ici posée : les médias, les catholiques, les gens, ont besoin de figures fortes, qui portent leurs idées, mais que se passe-t-il quand on ne contrôle plus ce que les médias créent… Quand on en devient dépendant (je sais ce que c’est, je cause dans le poste toutes les semaines !). Tous nous avons besoin de modèles, de personnes qui nous poussent, qui nous invitent à réfléchir, à avancer, mais quelle place laisse-t-on à cette personne pour être elle-même ? Comment ne pas devenir une idole ? Jacques Gaillot a été un pionnier dans ce domaine, mais il n’a pas voulu se couper de l’Église pour garder son statut… Il a choisi l’Église, le Christ, et ça c’est un réel exemple d’humilité pour nous tous…
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