Dom Geoffroy Kemlin, père abbé de la congrégation bénédictine de Solesmes, a été reçu par le pape François en audience privée début septembre. Les deux hommes ont parlé du motu proprio traditionis custodes et de son application. Pour Dom Geoffroy Kemlin, le Pape "a pris une position claire et s'y tient". Il ajoute que la liturgie est ce qui rassemble les Chrétiens et ne doit pas faire oublier la règle de Saint-Benoît.
Dom Geoffroy Kemlin, vous êtes père abbé de la congrégation bénédictine de Solesmes. Le 5 septembre, vous avez été reçu en audience privée par le Pape François. Pouvez-vous nous dire les circonstances de cette rencontre ?
Je devais aller à Subiaco, près de Rome, pour le synode des présidents des congrégations bénédictines. Je me suis dit que ça serait l'occasion de dire quelques mots au Saint-Père. J'avais pensé le rencontrer à l'issue d'une audience générale. À mon étonnement, la Secrétairerie d'État m'a annoncé qu'ils allaient demandé une audience privée, ce qui m'a beaucoup touché. J'ai eu confirmation par un mail de la Nonciature quelques jours après, alors que j'étais dans le métro.
Comment s'est déroulé l'entretien ?
C'est évidemment exceptionnel. Les Gardes suisses vous guident à travers ces pièces et escaliers magnifiques du Palais apostolique du Vatican. C'est amusant, l'interprète de la Secrétairie d'État qui m'a aidé à préparer l'entrevue m'a dit "attention le Saint-Père écoute surtout, c'est à vous de parler." J'étais un peu inquiet car je ne suis pas bavard (rires). Ensuite, le Pape m'a reçu dans sa bibliothèque privée. C'était une discussion toute simple. Je parlais en français lentement et distinctement et le Pape me répondait en italien. Je me suis assuré auprès de l'interprète d'avoir tout bien compris. J'avais droit à une demi-heure, en vingt minutes, j'avais obtenu toutes les réponses à mes questions.
Certaines abbayes de la congrégation de Solesmes célèbrent la messe selon l'usage tridentin. C'est un sujet qui a été évoqué. Comment est-il arrivé dans la conversation ?
J'ai mis les pied dans le plat en posant une question personnelle au Saint-Père. La question est de savoir si je pouvais célébrer la messe selon le missel de 1962 quand je vais dans ces monastères. Le Saint-Père a donné une réponse qui m'a touche. Il m'a dit, en me tutoyant, "Moi je suis à 2000 kilomètres, toi tu es sur place. Tu es moine, la vie monastique est une vie de discernement, donc je ne te dis ni oui, ni non, c'est à toi de discerner pour répondre librement par toi-même."
À ce sujet, comment le motu proprio Traditionis custodes, publié l'an dernier et qui restreint l'usage du missel tridentin, a été accueilli dans la congrégation de Solesmes ?
Nous sommes moines et nous vivons tous le charisme de Dom Guéranger, fondateur de notre congrégation. Le coeur de ce charisme est la fidélité et l'obéissance au Pape. Tous, nous avons reçu avec obéissance ce document et nous l'acceptons. Ce qui est vrai en revanche, c'est qu'au sein de certaines communautés, celles qui célèbrent selon le missel de 1962, d'aucun m'ont dit que c'était une souffrance pour eux, voire qu'ils sont été ébranlés. C'est une épreuve.
Est-ce que cette rencontre avec le Pape François a changé votre vision du motu proprio traditionis custodes ?
Alors non et j'aimerais pouvoir préciser les choses. Dans ma rencontre avec le Saint-Père, je n'ai senti aucun changement d'avis du Pape. Il ne regrette pas la décision très claire qu'il a prise et reste sur cette ligne. Ce qui est vrai, c'est qu'il m'a encouragé à être à user de discernement d'une part, et également d'être paternel et patient. Ce ne sont pas des choses nouvelles. Il dit exactement ça dans sa lettre. Il a donné les mêmes réponses aux évêques français qui sont allés le rencontrer en visite ad limina.
L'hôtellerie de l'abbaye de Solesmes ne semble pas connaître la crise. Vous y célébrer la messe selon l'usage de Paul VI mais en latin. D'après vous, utiliser la langue latine participe à ce succès ?
Certainement. Le latin nous permet de chanter en grégorien, de prier avec des textes extrêmement vénérables qui remontent à l'Antiquité patristique. Tout cela touche les gens car nos contemporains sont sensibles à la beauté de la liturgie. Il faut la conserver.
Ne trouvez-vous pas qu'on se focalise beaucoup sur la liturgie ?
Ce qui est dommage c'est de focaliser effectivement sur le motu proprio et les questions d'ancienne liturgie ou nouvelle liturgie. Je regrette de voir que ça crée des divisions au sein des Catholiques alors que la liturgie est vraiment là où Jésus-Christ créé l'unité de son Église. Il est vrai que ça peut nous faire oublier l'essentiel, comme l'Évangile ou, pour nous moines, la règle de Saint-Benoît.
Vous comprenez que certains aient pu être blessés ?
Je comprends que certaines personnes soient secouées et je le regrette. Ce que j'ai vraiment touché du doigt durant l'entretien avec le Saint-Père, c'est le fait que lui aussi est un père. Il dirige, donne des directions mais ne veut faire souffrir personne.
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