L'Église catholique traverse une crise que beaucoup considèrent sans précédent, d'une ampleur comparable pour certains à celle de la Réforme au XVIe siècle. À l'origine de cette crise, la révélation d'abus en son sein. Abus de pouvoir et agressions sexuelles sur des enfants ou des personnes vulbérables : des prêtres ont été condamnés, des évêques reconnus coupables de non-dénonciation. Une crise qui laisse des fidèles déconcertés et surtout des victimes, dont la vie a été brisée sur tous les plans par des clercs représentant la confiance et l'autorité. Alors que Mgr Éric de Moulins-Beaufort a admis ce mardi qu'il s'agissait d'un "problème systémique", il est urgent de repenser l'Église. Véronique Margron, coauteure de l'ouvrage "Un moment de vérité" (éd. Albin Michel), répond à Véronique Alzieu au sujet de cette crise et de la façon de l'envisager.
Cela fait plusieurs années que Véronique Margron, religieuse dominicaine, recueille les confidences de personnes blessées. "J'écoute des gens aux vies bouleversées depuis très longtemps", des personnes qui n'étaient pas victimes de prêtres pédocriminels. La question du mal traverse même l'ensemble de son travail théologique. Malgré cela, les nombreuses révélations dans les médias ces dernières années provoquent sa colère. "Monte à la fois une colère irrépressible quant aux agresseurs mais au moins autant à cette sorte de violence systémique qui fait tant violence aux victimes et à leurs proches, qui fait tant violence au peuple de Dieu."
Si elle confie sa "colère", Véronique Margron parle aussi de la nécessité de faire face à la crise, de regarder en face ce qui se passe, d'essayer de comprendre et d'avoir une attitude constructive pour proposer des pistes, pour sortir de la crise. "Ce qui est en jeu c'est que la colère soit utile parce que sinon en quelque sorte ça voudrait dire qu'on volerait la seule vraie colère qui est celle des victimes."
Entendre dire il y a ça partout ou c'est vieux tout ça, voilà qui, pour Véronique Margon, n'est plus acceptable. Tout ce qui incite à minimiser les faits, voire à les nier, empêche de faire face à la crise et de prendre la mesure de la gravité des faits. "Tant qu'on prend pas un peu cette mesure on ne peut pas réfléchir et on ne peut pas proposer des voies constructibles partce qu'on n'a pas été suffisamment boulevesé soi-même."
Aussi tout euphémisme ou langage édulcoré que l'on serait tenté d'employer pour préserver untel, voilà qui "est une violence de plus aux victimes et une violence de plus au réel". Faire face à la crise, c'est d'abord employer les termes exacts. Par exemple, commencer par parler de "pédocriminel" plutôt que de "pédophile", car étymologiquement, pédophile renvoie à l'amour ou à l'amitié pour les enfants. "Ces hommes n'aiment pas les enfants, explique Sr Margron, on n'entend pas pareil quand on entend prédocriminel parce qu'on entend 'criminel', que quand on entend 'pédophile' parce qu'en plus si on a fait un peu de grec on se rappelle que 'philia' c'est lié à l'amour, et par-dessus le marché, l'amour de charité, donc c'est épouvantable !"
En réponse à tous ceux qui souhaitent quitter l'Église, Véronique Margron répond : "par rapport à ce scandale, je ne peux pas ne pas me dire que si moi, nous, toutes celles et tous ceux - heureusement aujourd'hui ils sont nombreux - qui sont engagés auprès des victimes en déserte" quittent l'Église, "mais alors les victimes elles vont rester avec qui ?" La président de la Corref considère comme "une obligation éthique, spirituelle, de rester dans l'Église pour faire le pont" entre les victimes et la parole de Dieu, dont la transmission est ce sur quoi "repose" l'Église.
Des fidèles qui, s'ils restent fidèles à l'institution catholique, devront d'une façon ou d'une autre résoudre un paradoxe : celui d'une Église porteuse d'une parole qu'elle est censée transmettre et qui, en même temps, a été pendant des siècles frappée par une espèce de culte du secret mortifère. "Ça fait partie des choses qu'il nous faut penser et je l'espère pourront être réformées."
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