Celui qui perd sa vie la trouve, aimez vos ennemis... Dans l'Évangile, on trouve plus d'une parole déconcertante voire troublante - décevante à force. Tellement les paroles du Christ renversent notre logique. Dans 'Le christianisme n'existe pas encore' (éd. Salvator), Fr. Dominique Collin montre en quoi cette parole est toujours inédite, toujours neuve.
'Le christianisme du Nouveau Testament n'existe absolument pas.' Ce sont les mots de Søren Kierkegaard (1813-1855), philosophe danois, et théologien protestant. Des mots quelques peu provocateurs qui disent l’écart qui peut exister entre l’Évangile - parole vive, toujours inédite, subversive même - et l'institution, ses monuments, ses rites, son catéchisme. Pour Kierkegaard, un christianisme tel que le pratiquent 'les chrétiens du dimanche' n'est pas conforme à l'Évangile.
Il ne s'agit pas tant de critiquer le comportement des chrétiens que de nous faire comprendre que l'on a réduit le christianisme à un discours conforme aux 'valeurs de la bourgeoisie et de l'honnête homme' et 'aux désirs et aux attentes des hommes et des femmes'. Un discours qui ne montre pas que l'Évangile est 'un appel à la métanoïa, à la conversion, au changement de mentalité, à une tournure d'esprit différente'.
Qu'est-ce qui fait que le caractère inédit de la parole du Christ ? 'Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas' (Mc 13,31), dit Jésus. Qu'est-ce qui fait leur potentialité inédite, inouïe ? Qu'est-ce qui fait qu'elles ouvrent à quelque chose de toujours neuf ? 'Les paroles et les gestes de Jésus indiquent une nouvelle manière d'exister.' Pour Fr. Collin, 'si je change mon rapport au temps, au désir, au corps, aux autres, à l'économie, à la politique... selon trois manières de croire, d'aimer et d'espérer, quelque chose de neuf advient'.
Si l'Évangile est déception, il l'est au regard de notre tendance narcissique. C'est en tout cas ce que montre Dominique Collin. L'Évangile est une parole d'encouragement et de réconfort, mais 'de réconfort paradoxal'. Il 'veut conforter celui que je suis appelé à devenir', que le dominicain appelle 'le soi', empruntant le terme à la psychanalyse. 'Et qui passe paradoxalement par la perte du moi'. Aussi, quand Jésus dit 'celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera' (Mc 8, 35), le dominicain l'interprète comme suit : 'Celui qui veut gagner sa vie doit passer par la perte du moi et celui qui consent à perdre son moi gagne la vie, gagne son soi.'
L'Évangile va à l'encontre de notre 'tendance narcissique naturelle' à vouloir conforter notre 'moi'. Ce moi qui subit des attaques dans l'épreuve, la maladie, l'échec. Le message évangélique incite à ne pas avoir peur de passer par là, à consentir à cette déception. 'Il faut consentir à un désaisissement du moi pour faire la place, accueillir le don que Dieu nous fait.' Le Christ est le premier à nous montrer la voie, non seulement il le dit par ses discours et ses paraboles, mais sa vie même est un désaisissement de son moi. 'Sa mort sur la croix est un signe de cette mort du moi.'
Pourquoi vouloir mourir à soi, quand tout dans notre société est dans le renforcement du moi ? Nous ne sommes pas sortis, dit le dominicain, de ce que Paul disait : 'Le langage de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu.' (Co 1, 18) Ainsi pour Fr Collin, 'l'Évangile est audible chaque fois que je sens, ne fut-ce que légèrement, poindre cette folie du message et ce scandale, au sens où Je pourrais refuser d'aller plus loin dans l'Évangile parce qu'à un moment donné je veux rester sur mes gardes et protéger le moi que je sens vaciller parce que cette parole justement invite au désaisissement'.
Voilà pourquoi cette parole, on ne veut pas trop l'entendre, pourquoi on l'adoucit, on la dilue. Dans ce que Dominique Collin appelle 'le langage de la bondieuserie', se rappelant de ce que le théologien orthodoxe Paul Evdokimov (1901-1970) avait vu comme 'le malheur du christianisme' : être devenu une parole plongée dans la bondieuserie. La formule ici ne vise pas la piété populaire mais bien tout ce qui s'apparente à une vaine parole, à un discours creux et doucereux. Qui 'évite de renforcer ou d'accuser la dimension paradoxale et presque scandaleuse de l'Évangile'.
Émission d'archive diffusée en avril 2018
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