Que dit le christianisme originel au sujet des fins dernières ? Michel Fromaget revisite les évangiles et les Pères de l'Eglise à la recherche d'un supposé enfer éternel...
Un anthropologue pour nous dire si l'enfer éternel existe? S'intéresser à l'homme c'est se pencher sur les trois questions fondamentales que l'humanité se pose : D'où venons-nous? Qui sommes-nous? Où allons-nous? C'est cette dernière question et la façon qu'ont les hommes d'y répondre qui intéresse Michel Fromaget. Dans son livre "De l'enfer introuvable à l'immortalité retrouvée" (éd. L'Harmattan), il analyse la façon dont les évangélistes, les apôtres et les premiers Pères de l'Église comprenaient l'immortalité et la damnation.
Le mot "éternel" est la traduction de "aionios" en grec, lui-même traduit de l'hébreu "owlam". ​Ce terme désigne ce qui se développe dans toute sa puissance, dans toutes ses potentialités. "La meilleure traduction, explique Michel Fromaget, est quelque chose de définitif." Ainsi, quand on parle de feu éternel, qui est l'image de l'enfer, "c'est un feu qui n'est pas éternel en existence, ce qui serait absolument hallucinant, on imagine Dieu éternellement en train de châtier, mais c'est grotesque !" L'anthropologue nous dit que "c'est un feu qui est éternel dans ses conséquences, c'est-à-dire définitif, on ne s'en relèvera pas."
"Le dogme de l'enfer n'a pu prendre consistance qu'à la faveur de la croyance que l'âme humaine est immortelle par essence", explique Michel Fromaget. Or, ni le Christ, ni les premiers Pères de l'Église ne disent que l'homme est immortel par essence. Ils disent même que l'immortalité est conditionnelle, elle est à choisir. Comment en est-on arrivé au dogme de l'enfer éternel? C'est surtout à saint Augustin que l'on doit cette idée. Grand penseur chrétien particulièrement influencé par la philosophie grecque, Augustin d'Hippone (354-430) "ignorait tout de ce qu'ont dit les Pères avant lui" - ce dont est certain Michel Fromaget. Or chez les Grecs l'âme est par essence immortelle et la notion d'enfer très présente.
"Loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur notre mort corporelle, à laquelle nul homme vivant ne peut échapper. Malheur à ceux qui mourront dans les péchés mortels." Comme l'exprime saint François d'Assise dans son Cantique des créatures, il y existe dans la conception chrétienne deux types de mort, la mort biologique et la mort spirituelle. L'anthropologue rappelle qu'aujourd'hui cette mort spirituelle paraît à nos contemporains symbolique, "mais autrefois il n'en allait pas du tout ainsi : c'est pour cela que Jésus insiste sans arrêt sur le thème de la mort qui nous guette et la nécessité de la métanoïa, de la transformation".
Tout au long de son enseignement, en effet le Christ ne cesse de nous inviter à "renaître de l'eau et de l'Esprit" et à choisir la vie. "Qui écoute ma parole et croit en Celui qui m’a envoyé, obtient la vie éternelle et il échappe au jugement, car déjà il passe de la mort à la vie." (Jn 5, 24) "Il n'est pas question d'enfer" dans les paroles de Jésus, observe Michel Fromaget. Et "il ne dit absolument pas que tout homme est immortel". Jésus soumet l'immortalité à une condition : "qui écoute ma parole et croit en Celui qui m’a envoyé"... "Il s'agit d'une immortalité conditionnelle."
"L'être humain en son corps et en son âme a la possibilité, ça lui est offert par Dieu, de devenir immortel : c'est la naissance spirituelle", explique Michel Fromaget. Avant sa seconde naissance, "l'homme n'est pas immortel par nature". Avec le théologien et mystique Maurice Zundel on comprend que "s'ouvrir à l'esprit, dire oui à la vie, dire oui à l'amour, dire oui à la vérité, et s'immortaliser : tout cela c'est la même chose". Dans la Bible, on lit : "La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix." (Si 15, 16) Pour Michel Fromaget, "ça veut dire que l'homme est complètement libre de choisir la vie que lui propose Dieu, ou la mort, c'est-à-dire un anéantissement définitif : nous est proposée cette vie éternelle mais nous avons la possiblité de la refuser".
Il est nécessaire de bien comprendre que l'âme et l'esprit n'ont pas le même sens qu'on leur donne aujourd'hui. Chez saint Paul par exemple, ce que l'on a traduit par "âme" - anima en latin, psyché en grec - désigne l'intelligence, la pensée, le sentiment, le souvenir, l'imagination, la volonté, etc. Au fil du temps le mot "âme" a pris un sens religieux qu'il n'avait pas au début. À l'inverse, on a donné au mot "esprit" une connotation psychique. C'est notamment Descartes qui l'a vidé de son sens spirituel. Or l'esprit, selon la tradition chrétienne, et d'après les mystiques, c'est cette dimension de notre être la plus difficile à signifier. L'esprit c'est ce que les chrétiens appellent le royaume de Dieu.
Ainsi l'homme naît avec un corps et une âme : le sens de sa vie est de développer son esprit. L'anthropologue parle de seconde naissance. Un thème qui revient sans cesse dans les paroles du Christ. "Personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu." (Jn 3, 5) Comme l'explique Michel Fromaget, "l'esprit, dans la tradition biblique n'est que potentiel, pour exister il a à être mis en acte". Le sens de l'humanité c'est de devenir spirituel. Justin de Naplouse, philosophe chrétien du IIè siècle, écrit : "L'âme humaine ne doit pas être confondue avec la vie, elle participe de la vie mais elle devient véritablement vivante que grâce au souffle divin."
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