"Je vous dois d'être ce que je suis. Je vous dois d'avoir découvert l'Algérie qui était pourtant mon pays, mais où j'ai vécu en étranger toute ma jeunesse." Ces mots sont ceux de Mgr Pierre Claverie adressés à ses frères et amis algériens lors de son ordination épiscopale le 2 octobre 1981. Près de 15 ans plus tard, l'évêque d'Oran était assassiné avec son chauffeur Mohamed Bouchikhi, le 1er août 1996. Aujourd'hui sa vie, sa foi et son engagement nous sont proposés en modèles, à travers sa béatification le 8 décembre 2018. Le dominicain Jean-Jacques Pérennès, qui a bien connu Mgr Claverie, est l'auteur de "Pierre Claverie - Un Algérien par alliance" (éd. Cerf, 2000) aujourd'hui réédité. Il dresse le portrait d'un homme "qui aimait la vie".
Quand il a posé les pieds sur le sol algérien en 1977, Jean-Jacques Pérennès avait 28 ans. Il était un jeune religieux "encore secoué par les turbulences de l'Église catholique d'après Vatican II". Dans ce contexte il a été frappé de trouver chez Pierre Claverie "une solidité très grande, une foi forte mais sans affichage". Ils ont beau avoir partagé une même vie communautaire, "ce n'est qu'après sa mort" que Jean-Jacques Pérennès a "découvert à quel point je lui devais".
Issu d'une famille de pieds-noirs installée en Algérie depuis cinq générations, Pierre Claverie a grandi dans une famille très unie. Il appelait ses parents ses "petits vieux". Pendant 40 ans Pierre a écrit à ses parents tous les dimanches. Leur correspondance "témoigne d'une confiance mutuelle et d'une qualité d'amour". Si la cellule familiale était si soudée c'est que les parents de Pierre avaient l'un et l'autre connu une enfance difficile. "Ce couple-là avait décidé d'être heureux et de rendre une famille heureuse." Sans doute est-ce là l'origine de la "solidité" de Pierre Claverie : "il se savait aimé" et pour Jean-Jacques Pérennès, "l'amour des parents est un facteur de solidité, Pierre a beaucoup reçu". Même si sa famille n'était pas particulièrement pieuse mais où il y avait "une droiture extraordinaire, une sincérité, une vérité humaine".
Pierre Claverie a connu l'ordre des frères prêcheurs grâce au scoutisme - ses années scoutes l'ont d'ailleurs beaucoup marqué, lui qui avait "un don exceptionnel pour l'amitié". En pleine guerre d'Algérie, Pierre Claverie quitte le pays en 1957 - année de la bataille d'Alger - pour Grenoble où il étudie. Là, il découvre qu'il existe alors "une question algérienne" et qu'elle fait débat en métropole. "Il est tenté à un moment de s'allier à des groupuscules presque d'extrême droite mais grâce à la guidance de son père, il évite de tomber dans ces panneaux et sent qu'il y a quelque chose qui n'est pas juste."
Née dans l'Algérie coloniale, Pierre Claverie a connu "le paradoxe" du monde colonial, où l'on vit "à côté des Algériens", dont on ne partage pas la langue. Où on ne bénéficie pas non plus des mêmes droits. Plus tard Pierre dira : "J'ai vécu toute mon enfance dans une bulle coloniale sans jamais rencontrer les autres et les voir." Et aussi : "Nous n'étions pas racistes seulement indifférents." Nulle trace de mépris dans ces propos mais la clairvoyance qu'il y avait deux mondes qui ne se côtoyaient pas. Le P. Pérennès souligne le "travail" que le jeune Pierre Claverie a du faire à la fois de "rupture" et de "chemin vers l'autre", ce qui était alors aller à contre-courant d'un certain "fait colonial". Mais pour nous aujourd'hui, dans le contexte de la France actuelle, cela peut servir d'exemple : dans notre société où l'on sait qu'il existe d'autres milieux mais que l'on peut ignorer "superbement".
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !