"Je souhaite vraiment me mettre au service de celui qui me succédera. Je veux prier plus pour le diocèse".
Monseigneur Pierre Warin a accepté de se confier au micro d'Yves Thibaut de Maisières. En juin 2023, à l'occasion de son 75e anniversaire, il a remis sa démission au pape François. Il revient sur son ministère épiscopal, ses joies et ses peines, mais aussi sur tous les chantiers mis en œuvre depuis 2019.
Je souhaite me mettre à la disposition de l'évêque qui sera appelé à me succéder, en lui proposant d'être prêtre auxiliaire, c'est-à-dire un prêtre qui intervient dans la mesure où son état de santé le lui permet. Proposer aussi d'intervenir pour rendre visite aux prêtres malades et âgés, en plus des visiteurs épiscopaux. Je pense aussi me proposer pour servir chez “Les Sauverdias”, une institution tenue par les frères de la Charité à Namur et qui accueille, pour le repas de midi, les sans-abri et les personnes nécessiteuses. Là, je pourrai continuer à servir.
A l’occasion de mes 50 ans de prêtrise, j’ai reçu un beau cadeau pour me permettre d’aller en pèlerinage sur les pas de Saint Paul, tant en Turquie sur la côte occidentale, qu'en Grèce, sur la côte orientale. Il faut dire qu'avant de venir à Namur, j'ai été professeur d'exégèse du Nouveau Testament (avant de devenir président du séminaire de Liège), et j'aime beaucoup Saint Paul.
Quand je suis arrivé dans le diocèse en 2004, j'ai remarqué qu’on avançait à pas de souris en ce qui concerne les chantiers paroissiaux. En janvier 2007, j'ai fait paraître une brochure intitulée « Pour une relance du chantier paroissial, texte sur l'avenir des paroisses ».
On situe la fin de l'Antiquité en 476, date de la chute de l'empire romain. Et c'est après l'Antiquité que nos régions ont été vraiment christianisées. Le premier évêque de Belgique a été Saint-Servais, qui au IVe siècle avait son siège épiscopal à Tongres. Mais la christianisation à partir de la fin de l'Antiquité a été telle que toute la société devint finalement chrétienne. La paroisse, c'est une réalité qui s'est développée avec ce long processus de christianisation. Auparavant, l'Église était surtout une réalité urbaine. Pour participer à l'Assemblée dominicale, on venait à la ville, et l'assemblée dominicale était le plus souvent présidée par l'évêque. Notre quadrillage de 730 paroisses est donc, remarquons-le, une réalité qui n'a pas toujours existé et qui est liée à la christianisation entière de la société. Or, aujourd'hui, notre société est pluraliste, les convictions les plus diverses s'y côtoient. Elle est aussi laïque, le christianisme n'est plus majoritaire comme naguère. Autrefois, nos églises rassemblaient généralement un fort pourcentage de personnes de la paroisse.
Actuellement, la pratique dominicale n'est plus ce qu'elle était. Ce changement de contexte appelle des changements en ce qui concerne les paroisses et leur vie, car je le rappelle, la paroisse dans son état actuel, c'est une réalité qui est relative à un régime de chrétienté de la société. Nous ne pouvons donc plus, par conséquent, faire route en église comme avant.
Le nombre actuel de paroisses ne correspond plus à la position réelle de l'Église dans notre société moderne. On peut dire que l'Église vit en quelque sorte dans des habits trop grands.
Les trois dimensions sont importantes, mais la formation des membres - qui doivent grandir dans la foi - doit être nourrie. Les liturgies devraient être des rassemblements significatifs, au moins le dimanche.
Par ailleurs, le développement des œuvres de charité (ce qu’on appelle la diaconie, NDLR) est nécessaire. Dans la réalité, nos paroisses, dans notre diocèse géographiquement très étendu, sont petites. Il y a des hameaux qui ont acquis le label de paroisses et qui n'ont plus la force de développer ces trois missions. Partant de ce constat, il devient nécessaire de les regrouper. J'étais évêque auxiliaire depuis 12 jours, lorsque j'ai participé à une réunion à Bouillon, et j'ai entendu cette réflexion particulièrement pertinente d'un des participants : « il faut apprendre à se déplacer pour la messe à un autre endroit de chez soi, car le chez soi c’est l'ensemble du secteur ». Et de fait, il s'agit, en matière de chantier paroissial, d'inviter à temps et à contre-temps à dépasser le tenace esprit de clocher.
S'il faut conjurer les tentations de repli, il ne peut être question de porter atteinte à la vitalité des dynamismes locaux existants. C’est la raison pour laquelle je n'ai pas voulu reproduire les erreurs commises par le passé, notamment concernant les fusions de communes. En effet, pendant plusieurs années, j'ai été desservant d'une minuscule paroisse du diocèse de Liège. Il n'y avait plus d'administration communale, plus de bureaux de poste, plus d'écoles, plus de fêtes foraines, et on ressentait un fond de morosité. Le Vendredi saint, j'ai proposé une célébration itinérante de la Passion, et la réponse a été générale, massive même des paroissiens. J'ai vérifié là qu'il y a lieu de respecter le plus petit village ! Il ne faut jamais oublier la parole qu'on lit dans la Parole de Dieu : « Toi, Bethléem, Ephrata, le plus petit des membres de Judas, c'est de toi que sortira celui qui doit régner sur Israël. » Donc, il s'agit d'aller vers une pastorale d'ensemble, et cette pastorale d'ensemble rime avec pastorale de proximité.
Nous avons dans le diocèse un conseil pastoral qui représente toutes les réalités d'Eglise dans leurs diversités, mais aussi une équipe pastorale qui pratique la synodalité, c'est-à-dire qu'elle est composée du curé, bien sûr - qui est le responsable premier - mais également des laïcs qui prennent réellement leur part dans “l'exécutif”. Puis, nous retrouvons des équipes de proximité dans chacune des anciennes paroisses, très utiles pour assurer cette pastorale de proximité, et qui ne doit pas éclipser la pastorale d'ensemble.
Il y a parfois un danger : que le prêtre ne trouve plus sa juste place. Les laïcs doivent penser à bien accueillir le prêtre, mais c'est important que le prêtre accueille également ses laïcs. Nous voyons qu’il s’agit d’une relation à double dimension.
Au séminaire, il est très important qu’on prépare les futurs prêtres à travailler en équipe, en collaboration avec d'autres. Ça représente un travail de longue haleine, mais celui-ci est absolument indispensable. Lorsque j’ai ordonné deux nouveaux prêtres en juin 2023, je dois vous dire que ça a été un moment de grâce pour moi, mais également pour bien d'autres. À cette occasion, j'ai parlé de l'identité et de la beauté du ministère du prêtre. Pourquoi ? Parce qu'il y a un danger de passer d'un extrême à l'autre. Ce que je veux dire par là, c’est que jusqu'il y a 30 ou 40 ans d'ici, le prêtre faisait tout - ou à peu près tout - tout seul.
Dans la situation actuelle, il y a parfois un danger : celui que le prêtre ne trouve plus sa juste place. Les laïcs doivent penser à bien accueillir le prêtre, mais c'est important que le prêtre accueille également ses laïcs. Nous voyons qu’il s’agit d’une relation à double dimension.
Je me suis efforcé tout au long de mon épiscopat à être proche des prêtres. Quand j'apprends que l’un d’eux est affecté par la maladie ou une hospitalisation, je me manifeste immédiatement. Cela dit, je ne peux pas être partout. Dans mon conseil épiscopal, j'ai veillé à ce qu'il y ait une personne qui s'occupe de veiller au soin des prêtres.
Le chantier paroissial est devenu vraiment une réalité diocésaine. C'est quand même plus profitable que chacun prend sa part dans la vie de l'Église, quand chacun est solidaire de la vie de l'Église. Il n’a pas fallu attendre Vatican II pour entendre parler de l’apostolat des laïcs, il existait déjà avant et était bien illustré dans l'évangile de Luc. L'envoi des douze en mission est doublé d'un envoi des septante-deux disciples en mission. Pour ma part, je retiens que c'est un gain de travailler ainsi. D’ailleurs, notre pape François nous oriente nettement vers la synodalité.
De fait, la période du Covid n'a pas été une période particulièrement heureuse. Je me rappelle avoir célébré trois ordinations diaconales avec un maximum de 15 personnes présentes. C'est triste, mais nous étions tenus au respect des règles. Ce que je porte le plus douloureusement, c'est quand une plainte est introduite contre un prêtre, pour des faits de pédophilie. Je reçois cette plainte avec grande tristesse, mais également avec compassion vis-à-vis des victimes. Dans l'Église, désormais, on se dit que nous devons donner la priorité aux victimes, parce que nous avons un peu péché de ce côté-là dans le passé. Nous n’étions pas assez à leur écoute. Je veux aussi traiter ces dossiers avec une grande détermination, le diocèse étant tenu d'avertir le Dicastère pour la Doctrine de la foi à chaque fois qu'un dossier pareil est ouvert.
La déclaration des évêques flamands a fait l'objet d'une critique du côté francophone - en tout cas de certains évêques - en ce sens que nous n'avions pas été concertés. Je dirais même que nous avons été mis devant le fait accompli.
Le cardinal, Monseigneur Josef De Kesel à l'époque, a remis un peu les pendules à l'heure, en reconnaissant que la manière n’était pas tout à fait heureuse. Pour le diocèse de Namur, j’ai moi-même publié un document pour répondre à la question : comment faire si un couple homosexuel se tourne vers un prêtre et demande un temps de prière ? Personnellement, je m'en suis tenu à ce qu'on peut lire dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, et dans l’exhortation Amoris Laetitia, où le pape parle d’accueillir chacun avec miséricorde.
Pour moi, la position, c'est donc de proposer un temps de prière en petit comité avec la famille et qui ne constitue en rien un simulacre de mariage.
Pendant la période du Covid, à Pâques en 2020, j'ai publié une lettre pastorale qui constituait en quelque sorte un programme pour mon épiscopat. Les propositions pastorales ont été réfléchies dans les différents conseils : le conseil presbytéral, le conseil des prêtres, le conseil pastoral et le conseil des laïcs.
J’y ai proposé de grandes orientations. Tout d'abord, il est important d'engendrer des communautés pleinement chrétiennes capables de faire signe au monde. Comment l'Église pourrait-elle être évangélisée ? Comment pourrions-nous être évangélisateurs si nous ne commençons pas par nous évangéliser nous-mêmes ? Je dirais qu'il faut que l'amour du Christ soit une passion qui soulève tout l'être. J’appelle les communautés à être pleinement chrétiennes, et par-là signe dans un monde qui n'est plus chrétien. La deuxième proposition pastorale, c’est d’accueillir les nouvelles pauvretés. La miséricorde, c’est l’accueil des pauvretés. En Luc chapitre 6, le Seigneur dit : “soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux ; ne portez pas de jugement et vous ne serez pas jugés”.
Dans ma mission d’évêque, j’ai été témoin de mesquineries, de critiques comme de l’un ou l’autre confrère. Si vous pointez un index accusateur et impitoyable en direction de quelqu'un, faites le geste et vous verrez : il y a trois doigts dirigés contre vous !
Notre église diocésaine est plurielle, je veux veiller à ce que chacun puisse déployer sa vocation spécifique. Lorsque j'ai ordonné des nouveaux prêtres le 18 juin 2023, j'ai parlé de la beauté, de l'identité du ministère de prêtre. Lors de la messe chrismale (messe qui rassemble les prêtres et diacres du diocèse la veille du Jeudi saint, NDLR), j'ai parlé du sacerdoce commun à chacun, du sacerdoce baptismal qui implique chacun dans son rôle au sein de l’Eglise.
Je suis assez soucieux que les rôles de chacun s'articulent, que chacun puisse donner la pleine mesure de lui-même, favoriser les vocations. Soulignons qu'il existe un service diocésain des vocations qui, comme d'autres pastorales d'ailleurs, ne peut être réglée par sous-traitance. Elle doit devenir une action chorale de toute la communauté chrétienne.
L’une de mes grandes joies, ce sont les 250 laïcs qui sont officiellement nommés et qui s'ajoutent aux 250 prêtres qui ont un ministère à temps plein, ainsi que les prêtres auxiliaires qui interviennent en partie. Il y a également les prêtres retraités qui continuent à apporter leurs forces, leur apport est tout à fait indispensable.
D’autre part, les services diocésains se sont vraiment bien développés dans le diocèse. Une autre satisfaction, c'est le travail opéré par le vicaire général et le conseil épiscopal. Chaque fois que je peux aller sur le terrain pour l'inauguration d'une unité pastorale, ou pour des confirmations, ou pour administrer des sacrements et d’autres événements liés à la vie paroissiale, j’en suis très heureux.
A noter qu'en septembre 2022, c'était les 250 ans de la cathédrale. J'ajouterai aussi qu'une grande joie est le pèlerinage à Lourdes, où les malades sont présents et jouent un rôle essentiel.
Au cours de mes années d'épiscopat, la force que j'ai pu déployer est venue de ma faiblesse, j'en suis conscient. Finalement, j'ai choisi comme devise épiscopale, “la puissance de Dieu donne toute sa mesure dans la faiblesse”. Je veux aussi remercier un ami handicapé à cause de la polio, qui m'a introduit et fait grandir dans l'amour de la Vierge Marie. Il allait chaque année à Lourdes avec sa maman. Et dans son année, il y avait un avant-Lourdes et un après-Lourdes. Il a contribué à ce que je donne plus d'importance à Marie dans ma vie de prêtre.
Ce sont aussi mes parents que je veux remercier. Papa était médecin généraliste - et aussi médecin légiste pour quatre provinces, Liège, le Limbourg, Namur et le Luxembourg. C'était au tout début, quand il n'y avait pas beaucoup de médecins légistes. Maman était mère au foyer. Tous deux m’ont inculqué le sens du devoir et une droiture fondamentale.
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