Dans le récit biblique des commencements, après avoir été trompés par le serpent, l’homme et la femme se cachent. Dieu se met alors en quête de l’humain en lançant cet appel : "Où es-tu ?"* Dieu cherche l’homme, nous dit le livre de la Genèse mais nous pouvons lui retourner la question. Qui est ce Dieu dont nous parlent les Écritures ? Où demeure-t-il ? Que fait celui qui apparaît comme le grand absent, lui dont le silence nous interroge ? Ces questions fondamentales sont au cœur d'un essai stimulant et décapant, "Quand Dieu s'efface" (éd. Fidélité), préfacé par l'écrivain Emmanuel Carrère. Son auteur, Vincent Flamand a été prêtre catholique et est aujourd’hui marié et père de deux enfants. Il évoque sa rencontre avec Dieu, une expérience "drôlement décapante" et si difficile à dire...
"Je crois que depuis toujours je suis en quête avide d'infini, de sens, et de quelqu'un peut-être qui pourrait m'entendre..." Vincent Flamand se définit aujourd'hui comme "un homme qui attend" mais qui ne sait pas ce qu'il attend. "Je n'attends rien de spécial, j'ai l'impression profondément d'être pris, alimenté, nourri, par un mouvement d'attente." Cela ne l'empêche pas d'être "très nerveux, très angoissé, très actif", mais "fondamentalement" il se voit comme "un gamin émerveillé, terrifié qui attend le miracle, l'inespéré".
À 18 et 24 ans, Vincent Flamand a fait cette expérience fondatrice de l'immense tendresse de Dieu qui vous enveloppe. Chose qu'il voulait garder secrète, car elle ne lui a pas donné pour autant de certitudes. Et aussi, combien il est difficile de mettre des mots dessus sans obstruer "ce mouvement vers l'insaisissable, vers la liberté" ! "C'est très difficile de parler de Dieu sans figer, sans donner l'impression qu'on maîtrise, qu'on sait de quoi il retourne." Dans son ouvrage, Vincent Flamand mêle au récit de son expérience des pensées sur la façon dont nous pensons Dieu et l'imaginons. Il écrit : "Le plus souvent, Dieu n'est pas un personnage intéressant, il est le nombril de nos petits mondes narcissiques."
Issu du mouvement punk, Vincent Flamand s'est convertit au christianisme jusqu'à devenir prêtre, de 2002 à 2008. "J'avais un beau parcours de saint, dit-il avec humour, et puis après ça s'est un peu gâté..." Au cours de ses années de prêtrise, qui "ont été assez heureuses" et où il a éprouvé "beaucoup de liberté", il a vu combien être prêtre "c'est quand même une position très chargée en attentes, en fantasmes divers et variés" et en "images profondément inscrites dans l'inconscient collectif". Dans un tel contexte, il a mesuré aussi combien est aussi grande que dangereuse la tentation de se servir de son expérience de Dieu "pour affirmer, condamner, juger".
Écrire sur le christianisme : c'est d'abord dresser un constat. "Historiquement, le christianisme a été fortement décliné selon trois modalités : je dois, je sais, je sens." Pour Vincent Flamand, le christianisme a souvent été réduit à un ensemble de règles - "je dois" - devant lesquelles la modernité a été une "lutte contre les abus voire les perversions d'une certaine morale chrétienne". "Je sais", parce que l'on a tous en nous "ce désir profondément humain que nous avons de posséder une réponse, sur le sens de la vie, la mort, l'énigme de notre existence, les relations justes..." Quant aux émotions, il y a là quelque chose de "plus contemporain", où on en vient à dire "je sais puisque je sens" mais où "il n'y a pas de place pour la critique". Selon Vincent Flamand, cela reste "très difficile de parler du christianisme ailleurs que dans ces trois pôles : l'émotion, le savoir dogmatique et la morale".
Une fois que l'on a débarrassé Dieu, et le christianisme, de toutes nos représentations, que reste-t-il ? "Cette idée qu'il existerait quelqu'un qui est amour inconditionnel, et que ce quelqu'un vient se proposer en don à nos vies pour que nos vies témoignent quelque chose de ce non jugement et de cette tendresse inouïe... Ça, ça reste vraiment la chose qui me travaille le plus en profondeur."
Faire l'expérience du Dieu des chrétiens, "c'est drôlement décapant", s'étonne encore Vincent Flamand, et ça "fait tomber toutes les idoles, toutes les soifs de pouvoir et toutes les envies de confort". Il confie : "J'ai l'impression que plus je travaille, plus je suis comme dépossédé de toute ma prétention morale, de ma prétention à savoir, et de tout ce que je peux ressentir. Je ne dois plus, je sais de moins en moins et je ne sens plus grand chose." L'expérience de Dieu, "cette étrange expérience de tendresse", comme il la décrit, l'a "ouvert davantage à tous les malheurs, à toutes les douleurs et à toutes les questions du monde".
* "Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit : « Où es-tu donc ? »" (Gn 3, 9 - Source : AELF)
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