Tout d’abord, les territoires ruraux sont des territoires que l’on peut qualifier de plus en plus abandonnés. La Creuse, dans laquelle a enquêté Alban de Montigny, est touchée par un exode rural massif, d’autre départements voient leurs services publics fusionner et devenir moins efficaces car moins proches des populations. Ces territoires, malgré plusieurs plans de revitalisation, deviennent des territoires en marge. Aussi, les habitants de ces départements se sentent délaissés.
En effet, les capitaux et les savoirs se concentrent inexorablement dans les grandes métropoles, dans les territoires gagnants de la mondialisation, où l’on trouve des activités économiques dynamiques. Jérôme Fourquet donne l’exemple du Grand Est, en pleine désindustrialisation. Les pouvoirs publics ne sont plus en capacité d’impulser les politiques d’aménagement du territoire.
Sur le plan local, l’étalement urbain est défavorable. Lieux de vie, de travail, de loisir et de consommation sont déconnectés. On les rejoint en voiture : les dépenses contraintes augmentent, et le lien social se délite.
Olivier Artus dirige la chaire du bien commun à l'ICP. Le bien commun est remis à l’ordre du jour depuis Vatican II. On peut le définir ainsi : « ensemble des conditions sociales qui permettent à tout homme de répondre à sa vocation ». Le terme a été repris et développé sous le pontificat du pape François, qui joint bien commun, éducation intégrale, et écologie. La crise que l’on vit mobilise des paramètres du bien commun.
La question de la dignité revient souvent, dans l’Yonne. C’est une zone de petits agriculteurs qui se sentent méprisés, laissés à la marge. C’est également une question de liberté, induite par le déplacement. Enfin, on touche à la question des inégalités sociales et économiques. La notion de bien commun remet en contexte ces éléments. Quel est le but de l’existence ? Quel monde voulons-nous construire ?
Les gilets jaunes, sur les ronds-points, se rassemblent, discutent, éprouvent une vie de communauté. Pour beaucoup, le mouvement a été l’occasion de fraterniser, un besoin qui s’exprime de manière un peu confuse dans les assemblées, les réunions. Du fait du moindre poids des syndicats, des partis politiques, les individus sont de plus en plus atomisés. Ce mouvement est l’occasion de recréer du lien avec des collectifs qui ont perdu de leur capacité d’agrégation au cours des dernières années.
De plus, le mouvement réunit des ouvriers, des employés, des indépendants (artisans et commerçants). La frontière de classe est abolie, remplacée par une frontière davantage culturelle, entre les plus diplômés et ceux qui le sont moins.
On a pu remarquer la forte détermination des participants au mouvement des gilets jaunes. Jérôme Fourquet rappelle que, dans les premiers rassemblements, il fallait dépasser dans l’analyse la dichotomie « méchants casseurs et gentils gilets » : beaucoup de personnes venues de province manifester à Paris ont fait le coup de poing au côté des casseurs professionnels.
De l’avis des forces de l’ordre, la masse des gens déterminés à en découdre était plus grande qu’à l’ordinaire. Beaucoup de gilets jaunes n’ont jamais manifesté auparavant : l’usage des lacrymos a pu les choquer, les surprendre, ce qui les a conduit ensuite, à « monter au front ».
Olivier Artus souligne qu'on peut retrouver dans la Bible des échos de ce qui se passe actuellement. Lorsque quelqu’un a un sentiment d’injustice grave, sa réponse est souvent le cri ou la violence. Il existe une réelle difficulté de passer du cri au contrat. Les gilets jaunes sont encore dans la colère, n’ont guère envie de converser. Comment, alors, faire sortir de la colère pour entrer dans la conversation ? De plus en plus, on souhaite des réponses immédiates à des problèmes de long terme. Il faudra, sans doute, revenir dans ce long terme pour trouver des solutions.
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