Saint Anselme de Cantorbéry est un moine bénédictin, grand théologien et philosophe, considéré comme un des écrivains majeurs de l’Occident chrétien. En 1720, il a été proclamé docteur de l’Église par le pape Clément VII et a reçu le titre de « docteur magnifique ». Tout en étant un grand penseur et auteur du Moyen- ge, saint Anselme a eu une vie mouvementée comme évêque et a participé aux crises de son époque, en particulier aux tensions entre l’Église et l’état.
À l’époque, le Val d’Aoste fait partie du domaine de Savoie. Après avoir envisagé de se faire moine, Anselme préfère une vie plus mondaine. Mais il ne renonce pas à étudier. C’est pour cela qu’il se rend à Avranches, dans une abbaye qui dépend de la prestigieuse abbaye du Mont St Michel. À la mort de son père, il demande conseil sur sa vocation à l’archevêque de Rouen qui lui suggère de devenir bénédictin. C’est une suite logique de son parcours car depuis son enfance, il a été formé chez les bénédictins.
En 1063, il en devient prieur. Évidemment, ce suscite des réactions car il vient à peine d’arriver à l’abbaye. Mais il apaise les cœurs par sa grande douceur. Il sera plus tard élu abbé en 1078. Cette période de sa vie est consacrée à l’étude et à l’écriture de ses œuvres majeures : le Monologion de Divinitatis en 1076 et un an plus tard un addendum au Monoligion intitulé Proslogion seu Alloquium de Dei Existentia.
Il est en ce sens un précurseur de deux autres grands savants dont nous avons déjà parlé, Albert le Grand et Thomas d’Aquin qui ont continué dans cette ligne. On considère saint Anselme comme un des fondateurs du courant de la théologie scholastique. Jusqu’à présent, la théologie était positive, c’est-à-dire qu’on étudiait les dogmes à la lumière des Pères de l’Église et des décisions des conciles qui représentaient l’autorité indiscutable de l’Église. Avec saint Anselme, apparaît l’autorité de la raison qui est reçue comme un complément de la foi. Il ne s’agit en aucune manière de mettre les vérités de la foi en doute. Par contre, la conviction d’Anselme est que la vérité de la foi doit donner satisfaction à la raison. Il prétend aussi que les vérités de foi s’articulent entre elles et que la raison peut en découvrir l’articulation.
Saint Anselme résume cette conviction dans cette phrase de son Monologion :
Je ne cherche pas à comprendre pour croire, mais je crois pour comprendre. Car celui qui ne croit pas n'expérimentera pas, et celui qui n'a pas expérimenté ne comprendra pas.
Il me semble que cette affirmation est très intéressante. Elle correspond à de nombreuses expériences actuelles de conversion. La foi est donnée d’abord et ensuite vient la compréhension. C’est une expérience existentielle, comme le dit saint Anselme : d’une certaine manière, il faut croire pour faire une expérience de la foi et ensuite comprendre.
Il est intéressant de noter qu’aujourd’hui, beaucoup de personnes demandent le contraire : elles veulent d’abord comprendre pour croire. Saint Anselme nous dit que c’est le chemin inverse qu’il faut suivre.
Dans le Proslogion, saint Anselme donne une preuve de l’existence de Dieu qui a été reprise par Descartes et que le philosophe Kant a appelé la « preuve ontologique ». Je vous la résume :
Je ne vais pas me lancer dans la critique de cette « preuve ». Je peux simplement vous signaler que ce raisonnement est basé sur l’axiome que la réalité répond aux visées de l’esprit ce qui n’est pas nécessairement vrai : je peux penser à un mouton à 10 pattes, cela ne l’oblige pas à exister. Pour saint Anselme, la question n’est pas de savoir si Dieu existe ou non. De son temps, l’existence de Dieu est communément admise. La question d’Anselme est de savoir si on peut prouver qu’il existe par un raisonnement et lutter contre ceux qui affirment que l’existence de Dieu est indémontrable.
L’idée est la suivante. Je résume. En péchant contre Dieu, l’homme a blessé sa relation avec lui et il n’a pas conscience de la gravité de son acte. Seul Dieu voyait toutes les conséquences du péché de l’homme. Dans sa justice, lui seul aussi pouvait rétablir cette relation. Cependant, en même temps, Dieu n’a pas voulu que ce rétablissement se fasse sans l’homme. Dieu a une trop grande estime de la dignité de l’homme et un trop grand respect de sa liberté pour nous sauver sans notre participation. Pour cela, il fallait qu’un homme-Dieu rétablisse la relation coupée par le péché. Jésus, vrai Dieu et vrai homme, réalise cette réconciliation.
En 1093, alors qu’Anselme visite des abbayes de l’autre côté de la Manche, il est élu archevêque de Cantorbéry. Ici commence la partie la plus mouvementée de sa vie. Il va connaître l'exil deux fois, s'opposer au roi, défendre le pape. Anselme, en effet, défend l’idée que c’est au pape de nommer les évêques et pas aux rois. De plus, il s’oppose aux pratiques de simonie qui consiste à s’acheter avec de l’argent des faveurs spirituelles. Cela fait référence au magicien Simon, dans les Actes des apôtres, qui avait voulu acheter aux apôtres le pouvoir d’imposer les mains et de donner l’Esprit Saint.
Anselme est un artisan actif de la réforme grégorienne, voulue par le pape Grégoire VII et ses successeurs pour redresser l’Église. Cette réforme comprend une meilleure formation du clergé, le célibat des prêtres, l’indépendance du clergé, le fait que des laïcs (entendez ici des rois ou des empereurs) ne peuvent pas désigner des évêques, la lutte contre la simonie… Cette réforme va durer 3 siècles.
Après beaucoup de combats et la participation à différents conciles, Anselme meurt le 21 avril 1109 à Cantorbéry à l’aube du mercredi saint. Il avait 75 ans. Il laisse une œuvre immense qui lui a valu le tire de « Docteur magnifique ».
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