Le saint dont je vais vous parler aujourd’hui, docteur de l’Église, a été choisi en 2002 pour être le patron d’internet et des informaticiens.
Parce qu’il a été un compilateur extraordinaire, et un faiseur de pont interculturel, il a rassemblé dans son œuvre encyclopédique intitulée Étymologies (au pluriel) et comportant 20 volumes toutes les connaissances de son temps dans des matières très diverses comme la grammaire, la cosmologie, la médecine, la religion, l’histoire, la géographie, et d’autres. Il est un de ceux qui ont fait connaître Aristote au monde occidental. De plus, il est aussi un précurseur pour le classement des informations qui préfigure la création d’index, l’ordre alphabétique, etc. Ce saint s’appelle Isidore de Séville, fêté le 4 avril. Il est considéré comme le dernier des Pères chrétiens de l’antiquité. Voici son histoire. Je m’appuie pour vous la raconter sur la belle catéchèse que Benoît XVI lui a consacrée le 18 juin 2008.
Isidore est né à Hispalis (l’actuelle Séville) en Andalousie entre 560 et 570. Son nom signifie « cadeau d’Isis », la déesse égyptienne. Cela montre qu’on peut avoir un nom d’origine païenne et être saint !
À l’époque d’Isidore, la péninsule ibérique est occupée par des barbares qui ont profité de la faiblesse de l’empire romain décadent. Ce sont les Wisigoths, qui sont ariens, c’est-à-dire qu’ils adhèrent à l’hérésie arienne. Le frère aîné d’Isidore, Léandre est évêque de Séville et grand ami du pape Grégoire le Grand. C’est lui qui s’occupe de l’éducation et de la formation intellectuelle et religieuse de son cadet après la mort de ses parents. Il impose une forte discipline qui ne déplaît pas à Isidore qui est assoiffé de savoir. Pour l’assouvir, il dispose de la bibliothèque de l’évêché très riche en œuvres de toutes sortes, classiques, païennes et chrétiennes. C’est ainsi qu’il va acquérir une connaissance encyclopédique de la culture classique païenne mais aussi très profonde en ce qui concerne la culture religieuse. On pourra le constater dans sa production littéraire où il navigue avec facilité, comme le dit Benoît XVI dans sa catéchèse, de Martial à Augustin, de Cicéron à Grégoire le Grand.
Comme évêque, il développe la formation des clercs et institue des écoles épiscopales. Il veut doter l’Église de solides fondations intellectuelles et s’entourent de copistes pour réaliser son immense travail rédactionnel. Il organise plusieurs synodes.
À travers ses œuvres, on constate qu’il est tiraillé entre son désir de solitude pour s’adonner à la contemplation et à l’étude et son devoir d’évêque chargé de conduire son troupeau. Cette lutte intérieure va durer toute sa vie, et Benoît XVI se demande si cela n’explique pas une certaine raideur ou volontarisme dans ses écrits.
Voilà deux citations choisies par Benoît XVI qui illustrent cette tension dans son âme de pasteur :
Le responsable d’une Église (en latin vir ecclesiasticus), écrit Isidore, doit d’une part se laisser crucifier au monde par la mortification de la chair et, de l’autre, accepter la décision de l’ordre ecclésiastique, lorsqu’il provient de la volonté de Dieu, de se consacrer au gouvernement avec humilité, même s’il ne voudrait pas le faire.
On voit bien ici le désir d’Isidore d’éviter les charges pastorales pour se consacrer à l’étude et à la prière. Il le dit d’ailleurs explicitement un peu plus loin :
« Les hommes de Dieu (en latin sancti viri) ne désirent pas du tout se consacrer aux choses séculières et gémissent lorsque, par un mystérieux dessein de Dieu, ils sont chargés de certaines responsabilités… Ils font tout pour les éviter, mais ils acceptent ce qu’ils voudraient fuir et font ce qu’ils auraient voulu éviter. Ils entrent en effet dans le secret du cœur et, à l’intérieur de celui-ci, ils cherchent à comprendre ce que demande la mystérieuse volonté de Dieu. Et lorsqu’ils se rendent compte de devoir se soumettre aux desseins de Dieu, ils humilient le cou de leur cœur sous le joug de la décision divine. »
La tension qui traverse Isidore le pousse à réfléchir sur les liens entre vie active et vie contemplative. Il propose Jésus comme modèle d’équilibre :
« Le sauveur Jésus nous offrit l’exemple de la vie active, lorsque pendant le jour il se consacrait à offrir des signes et des miracles en ville, mais il montrait la voie contemplative lorsqu’il se retirait sur la montagne et y passait la nuit en se consacrant à la prière. »
La conclusion d’Isidore est donc de proposer de combiner les deux types de vie. Il argumente sa proposition par l’imitation du Christ et le commandement de l’amour et nous laisse une synthèse qui est toujours valable pour nous, chrétiens du troisième millénaire :
« C’est pourquoi, écrit-il, le serviteur de Dieu, en imitant le Christ, doit se consacrer à la contemplation sans se refuser à la vie active. Se comporter différemment ne serait pas juste. En effet, de même que l’on aime Dieu à travers la contemplation, on doit aimer son prochain à travers l’action. Il est donc impossible de vivre sans la présence de l’une et de l’autre forme de vie à la fois, et il n’est pas possible d’aimer si l’on ne fait pas l’expérience de l’une comme de l’autre. »
Saint Isidore nous propose donc une vie contemplative dans l’action ou une vie active soutenue par la contemplation. C’est ce que beaucoup de communautés nouvelles mettent en valeur aujourd’hui dans l’Église.
N’allez pas penser qu’Isidore, traversé par ses tensions intérieures, n’assume pas pleinement sa charge épiscopale. Que du contraire. Il est même animé d’un grand zèle missionnaire. Son frère Léandre a commencé la conversion des rois wisigoths au christianisme trinitaire qui reconnaît la divinité du Christ. Isidore continue le travail d’évangélisation qui est aussi un travail d’unification : former dans la péninsule ibérique un peuple uni par une religion sous l’autorité d’un roi. Cela implique des relations avec le pouvoir politique et des problèmes difficiles tels que la gestion des hérétiques et des juifs où Isidore reste un homme de son temps.
Dans ses écrits, Isidore manifeste son immense érudition mais n’a pas toujours le sens de la synthèse.
Comme l’explique Benoît XVI : « La richesse des connaissances culturelles dont disposait Isidore lui permettait de confronter sans cesse la nouveauté chrétienne avec l’héritage classique gréco-romain, même s’il semble que plus que le don précieux de la synthèse il possédait celui de la collatio, c’est-à-dire celui de recueillir, qui s’exprimait à travers une extraordinaire érudition personnelle, pas toujours aussi ordonnée qu’on aurait pu le désirer. » Ce qui anime Isidore dans ses écrits est la volonté de ne rien perdre du patrimoine culturel qui l’a précédé, tant païen que juif ou chrétien. Il écrit aussi une Histoire des Goths qui nous est très utile car, sans elle, nous ne saurions presque rien des Goths et des Vandales.
Isidore meurt à Séville le 4 avril 636 après 40 années d’épiscopat. Quelques années après sa mort, le Concile de Tolède de 653 le définit : « Illustre maître de notre époque, et gloire de l’Église catholique. »
Les Étymologies d’Isidore ont eu une influence énorme jusqu’au XVIe siècle et ont servi de pont culturel entre deux époques. Il est canonisé en 1598 et déclaré docteur de l’Église en 1722. Notez aussi que tous ses frères et sœurs ont également été canonisés : ses frères Léandre et Fulgence ainsi que sa sœur Florentine.
Pour terminer, voici un extrait d’une homélie de saint Isidore qui s’adresse à tous ceux qui ont la charge d’enseigner.
« Celui qui a la charge d’instruire les peuples et de les former à la vertu doit de toute nécessité, avoir une sainteté accomplie, et se montrer absolument irrépréhensible. Car pour reprendre les pécheurs, il faut qu’il soit lui-même exempt de péché. Comment, en effet, oserait-il reprendre ses subordonnés, exposé qu’il serait à s’entendre répondre : Commencez par adresser à vous-même vos leçons de vertu. Celui qui se propose d’enseigner aux autres à bien vivre doit donc d’abord régler sa propre conduite. »
Demandons au Seigneur que ces judicieux conseils de saint Isidore puissent être suivis partout dans l’Église aujourd’hui.
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