Nommé archevêque de Lima alors qu'il n'était encore que laïc, Toribio a été un infatigable défenseur des pauvres.
Aujourd’hui, je vais vous parler d’un saint que probablement vous ne connaissez pas. Je l’ai découvert dans un quartier pauvre de Lima, il y a déjà quelques années, dans une paroisse de la Communauté de l’Emmanuel qui lui est dédiée : la paroisse San Columbano y santo Toribio, c’est-à-dire saint Colomban et saint Turibe.
C’est un saint évêque, patron de l’épiscopat américain, grand défenseur des Indiens, évangélisateur infatigable et qui a été nommé évêque contre son gré alors qu’il n’était encore que laïc.
Toribio de Mogrovejo est né à Majorque en Espagne le 16 novembre 1538. Il a 12 ans quand commence la fameuse controverse de Valladolid, réunie à la demande de Charles Quint, pour réfléchir au statut des populations autochtones des Amériques. Cette controverse a opposé essentiellement deux grands hommes de l’époque : le dominicain Bartolomé de Las Casas, surnommé le « défenseur des Indiens » et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda. Ce sont les arguments de Bartolomé de Las Casas en faveur du respect des indiens qui sortent vainqueurs, mais dans la pratique, malgré les lois promulguées par les rois espagnols pour protéger les populations indigènes, celles-ci continuent de souffrir de différentes exactions.
Toribio de Mogrovejo fait des études de droit canonique et acquiert une réputation de juriste expérimenté et intègre. Il enseigne à la prestigieuse université de Salamanque. Le roi Philippe II le tient en grande estime et le nomme en 1572 président du Tribunal de l'Inquisition à Grenade, bien que Toribio soit toujours laïc. Visiblement, ce dernier ne démérite pas à ce poste car, en 1580, le roi l’appelle à devenir l’évêque de la ville de Los Reyes, l’actuelle Lima. Mais il y a un « hic » dans la nomination : Toribio est toujours laïc ! Il est consterné. Il proteste auprès du roi et des autorités ecclésiastiques, il explique qu’il ne peut assumer cette charge comme laïc. Il se défend aussi dans différentes lettres où il se déclare incapable de servir en tant qu'archevêque de Lima – et en outre, rappelle-t-il, le droit canonique ne permet pas à un laïc de devenir archevêque. Mais aucun argument n’est accepté : le roi tient à sa nomination – saluons ici son discernement car il a choisi et envoyé un saint !
Voilà donc Toribio obligé de devenir prêtre en un temps record. Il reçoit les ordres les uns après les autres au pas de course et est ordonné évêque en 1581, à l'âge de 43 ans. Il a mis un an à passer de l’état de laïc à l’état épiscopal. Incroyable !
Los Reyes, à l’époque, est un diocèse gigantesque qui dépasse largement les limites du Pérou actuel. Il fait plus de la moitié de la France ! La situation y est très délicate – c’est le moins que l’on puisse dire. Il y a des lois édictées par les rois d’Espagne pour protéger les populations indigènes, mais elles ne sont pas ou peu respectées. Il y a un vice-roi qui devrait gouverner la région au nom du roi d’Espagne, mais le vrai gouvernement est assuré par les descendants des conquistadors, des hommes sans scrupules qui ne cherchent que leur profit, se montrent impitoyables avec les indigènes et utilisent la religion pour les opprimer encore davantage.
Telle est la situation que trouve Mgr Toribio à son arrivée à Lima où il va exercer son épiscopat pendant 25 années. Sa première décision est d’apprendre les langues indigènes, le quechua et l'aymara, afin de pouvoir parler directement avec les indiens, mais surtout pour travailler à une véritable évangélisation dans le plein respect de leur dignité. Il oblige tous les prêtres à étudier aussi ces langues. Il fait publier un catéchisme dans les langues indigènes. Il se met rapidement en opposition avec le vice-roi et les colons en adoptant ce qu’on appellerait maintenant une option préférentielle pour les pauvres. Les indiens exploités et écrasés sont ses brebis privilégiées. Pour elles, il est un véritable bon pasteur.
Il met en pratique les recommandations du Concile de Trente qui vient à peine de se terminer 17 ans plus tôt. Il s’attaque à la réforme du clergé, un des grands dossiers de ce Concile. Pour cela, il s’appuie avant tout sur son propre témoignage – je dirais sur le témoignage de sainteté personnelle : il consacre de nombreuses heures à la méditation et à la prière, il est convaincu que la prière est essentielle pour faire grandir la vie spirituelle de tout prêtre. Il s’attaque à la formation des prêtres, fonde le premier séminaire d’Amérique latine à Lima, s’efforce de corriger les abus et les déficiences.
Il y a une autre recommandation du Concile de Trente que Mgr Toribio de Mogrovejo va mettre en pratique de manière admirable : la visite de son diocèse. Durant son épiscopat, il va faire 3 visites complètes. N’oublions pas que le diocèse est immense : 500 km le long du Pacifique et jusqu’à la Cordillère des Andes. Mgr Toribio va faire des milliers de kilomètres à pied et visiter jusque les lieux les plus reculés en bravant les maladies et les éléments, intempéries, animaux sauvages et autres dangers. Sa première visite pastorale dure 5 années. Partout, il défend les populations locales contre ceux qui les exploitent. Il bâtit des chapelles, des couvents, des routes, des écoles, des hôpitaux.
Il est aussi celui qui donne le sacrement de la confirmation à trois futurs saints : saint Martin de Porres, saint François Solano et sainte Rose de Lima. À quatre, ils forment le premier fleuron de la sainteté de l’Amérique latine.
C’est au cours d’un voyage dans son diocèse que Toribio de Mogrovejo tombe malade. Il meurt à Saña le 23 mars 1606, à l’âge de 68 ans.
Il est canonisé en 1726 par Benoît XIII. C’est Jean-Paul II qui le proclame patron de l'épiscopat latino-américain en 1983.
La vie de saint Toribio de Mogrovejo est un magnifique exemple du combat que l’Église a toujours mené, depuis 2000 ans, en faveur des pauvres. Il est un modèle de ce que peut signifier ce que Jean-Paul II a appelé l’option préférentielle pour les pauvres, option qui reste plus que jamais une priorité pour l’Église et donc pour chacun de nous.
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !