Le Schmock, c’est le surnom que certains juifs donnèrent à Hitler. Le Schmock, ça signifie "l’idiot, le salaud" en yiddish. Comment cet imbécile est-il parvenu au pouvoir, comment a-t-il trompé un peuple civilisé, comment les allemands cultivés ont-ils pu laisser faire ? Voilà les questions que pose le dernier roman de Giesbert, FOG pour les intimes.
Et pour raconter cette ascension politique vertigineuse et criminelle, le romancier met en scène deux familles, l’une juive, l’autre très catholique, qui s’entendent à merveille, toutes deux victimes de cécité. Ils croisent le petit caporal de 14-18 devenu piètre peintre amateur, l’invitent à leur table, réalisent année après année son antisémitisme violent, sans jamais prendre vraiment la mesure du drame qui se prépare.
Les familles juives tardent à s’exiler et il sera bientôt trop tard ; les industriels et intellectuels allemands peinent à mesurer l’ampleur des errements. De la nuit des longs couteaux à la nuit de cristal, c’est ce petit monde que l’écrivain reconstitue, avec des histoires d’amour, des coups de théâtre et des lâchetés sans nom.
Et une forme de cynisme qui restitue certainement ce climat glauque de l’entre-deux guerres, où chacun assiste incrédule et imprudent à la montée du nazisme : "nous vivons dans un monde où il ne faut pas être gentil. L’heure est aux barbares, aux crétins, aux brutes épaisses", constate l’un des personnages. Il y a de la dérision dans l’écriture de FOG : "N’ayons pas peur d’Hitler. Il n’en vaut pas la peine. Vous l’avez vu, entendu ? Un braillard inculte, un mirliflore de cave à bière". La suite, on la connaît : vient un moment où il est trop tard, où l’inimaginable devient réalité. Sombres pages de l’histoire et franchement, on n’a plus envie de rire…
Mais je ne vous cache pas mon malaise : bien sûr, l’auteur dénonce vigoureusement la shoah, quand il rappelle que "la grande force des nazis fut de n’avoir jamais été impressionnés par le bien, apeurés par les scandale, embarrassés par la pitié". L’écriture ne se départir pas de cette ironie froide, presque désinvolte ; évoquer l’innommable avec un tel détachement me trouble. Un autre roman, plus tragique, peut utilement éclairer cette période : en dépit des quelque 550 pages, le livre du Tchèque Ferdinand Peroutka est une description serrée, au scalpel, du nazisme à Prague et dans les camps. Enfin traduit par Hélène Beletto-Sussel et publié par les éditions de la Contre-Allée, le livre restitue ces années sombres que chacun traversa comme il put : "la nature, écrit Peroutka, la nature n’a pas donné à l’homme des nerfs de héros". Peut-être une clé pour comprendre le livre de Giesbert.
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