15 mai 2023
Charles Delhez: Utopie biblique
L'utopie biblique
La Bible est une vaste épopée utopique. Dès la première page, Dieu, qui en est le personnage principal, déclare que "tout est très bon" (Genèse 1, 1-31). Il s'agit d'une vision d'avenir, d'une visée, et non d'une constatation. La réalité quotidienne ne confirme pas cet optimisme divin. C'est son projet qui est bon, non le réalisé ! Deux chapitres plus loin, l'Écriture sainte nous raconte d'ailleurs la chute d'Adam et Ève. C'est l'utopie qui, face au mal, nous permettra de continuer à croire en ce projet divin.
Le prophète Isaïe, qui n’était pas en reste quant aux mises en garde, a si bien chanté cette utopie biblique : « Il arrivera dans les derniers jours que la montagne de la Maison du Seigneur se tiendra plus haut que les monts, s’élèvera au-dessus des collines. Vers elle afflueront toutes les nations et viendront des peuples nombreux. De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre » (Isaïe 2, 2…4). Quelle utopie !
La Bible contient nombre de textes utopiques, sans doute jamais réalisés tels quels, mais peut-être pas irréalisables pour autant ! Ainsi les lois sociales au chapitre 25 du Lévitique et la description de la première communauté chrétienne (Actes des Apôtre 2, 42-47). Même si ces textes parlent du passé, ils évoquent davantage l’avenir à construire dès aujourd’hui. Ni le peuple hébreu ni la première Église ne furent parfaits, bien sûrs.
L'Évangile lui-même n'est-il pas une immense utopie ? Que l'on pense aux Béatitudes qui commencent par « Heureux, vous les pauvres, le Royaume des cieux est à vous » (Luc 5, 20). Que l'on se souvienne des nombreuses paraboles de Jésus : « Le Royaume de Dieu est semblable à… ». Ou encore de la règle d’or : « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes » (Matthieu 7, 12 ; cfr Luc 6, 31). Cette règle d'or, en effet, ne pourra jamais être précisée de manière satisfaisante ni édictée en lois positives, mais elle mesure tout agir moral. Il s’agit d’une « boussole intérieure », d’un idéal.
La dystopie, un sous-genre littéraire de l'utopie, est une autre façon de dire l'utopie, de manière négative cette fois. Le philosophe Jean-Pierre Dupuy dit pratiquer le "catastrophisme éclairé", celui-ci consistant à considérer les catastrophes possibles comme étant inéluctables, afin d’en prendre conscience et de pouvoir les éviter. Au lieu de voir où on veut aller, il s'agit de voir à quoi on ne veut surtout pas aboutir.
Le prophète biblique Jérémie, qui a vécu dans les années précédant la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor (587 av. J.-C), a excellé dans ce genre dystopique. « Chaque fois que j'ai à parler, je dois crier et proclamer : "Violence et dévastation !" » (Jérémie 20, 8). Hélas, il n'a pu empêcher cette chute qu'il voyait si clairement se profiler.
Mais in fine, le livre de l'Apocalypse ouvre la Bible sur un avenir ultime. À la dernière page, on peut y lire : « Puis je vis un ciel nouveau, une terre nouvelle. […] Et je vis la cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu… » (Apocalypse 21, 1-2). L'avenir ne dépend pas que de nous. Il nous est aussi offert par Dieu.
Dieu ne serait-il pas la plus belle utopie de l’homme ? Son Royaume n'est pas une illusion, mais une promesse qui a déjà trouvé réalisation dans la vie et la mort de Jésus, couronnées par sa résurrection.
Charles Delhez sj
Droits image: ©rcf