C’est un cadrage ultra serré sur un visage. D’habitude, ce type de cadrage nous permet de mieux connaître quelqu’un. Un gros plan, cela permet de repérer des détails, des pattes d’oie aux coins des yeux, une ride sur le front, une commissure, un sourire, la couleur des yeux, la profondeur d’un regard. Sauf que là, c’est un gros plan, et il n’y a rien de tout cela. C’est un visage cadré tellement près qu’on ne voit ni le cou, ni le sommet du crâne et pourtant, impossible de dire qui se dresse devant nous.
Ce qu’on voit d’abord, ce sont des couleurs vives. Du vert à l’arrière-plan, sans doute de la nature, des arbres, mais pris avec une telle profondeur de champ qu’ils apparaissent tout flous, comme un immense décor, comme une toile verte, qui élimine tout élément de contexte. Du vert… Et du rouge ! Celui des lunettes rondes que l’homme porte sur son nez, et qui camoufle totalement ses yeux. Le reste de son visage, c’est une masse sombre. Parce qu’il a une barbe et des dreadlocks, des cheveux noirs et épais. Mais aussi parce qu’il porte un attirail incroyable. Ces lunettes rondes, donc, mais aussi une visière en plastique sur le front et qui lui couvre tout le visage ET un masque noir sur le nez et la bouche.
Mais ce n’est pas n’importe quel masque qu’il a sur le nez ! Sur le masque en tissu noir est inscrit plusieurs fois « I can’t breathe », « je ne peux pas respirer ». La supplique prononcée par George Floyd, tandis qu’il était en train d’étouffer sous le genou d’un policier de Minneapolis, dans le Minnesota. Une phrase qu’il a répétée une vingtaine de fois pendant les neuf minutes insoutenables de son agonie. Sa mort a jeté la population noire américaine dans la rue et créé un mouvement de colère qui s’est propagé au reste du pays.,Dans les verres rouges, on voit une foule compacte, des hommes et des femmes debout, avec des pancartes. On est au cœur d’une manifestation. Et on ne le comprend qu’au bout de quelques secondes, une fois notre recherche d’indices effectuée. D’abord des couleurs, puis une visière, un masque, un slogan… Et ce reflet qui nous donne le contexte. Ce visage, c’est celui d’un manifestant contre les injustices dont sont victimes les Africains Américains.
Et si je termine la saison sur cette image, c’est parce qu’elle résume cette première moitié de 2020 – les Américains disent « in a nutshell », dans une coquille de noix. C’est un condensé, un précipité de l’actualité, avec ce virus qui nous a enfermé chez nous, qui nous oblige aujourd’hui à sortir protégé d’une visière ou d’un masque. Et cette souffrance des Noirs américains qui a transformé la sortie du confinement en mouvement de colère. Alors je fais un vœu pour la deuxième moitié de l’année : revenir en septembre, et commenter des images plus joyeuses.
Chaque vendredi dans la Matinale RCF, David Groison commente une photo de presse.
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