JavaScript is required

50 ans de l’ACAT. Guy Aurenche : « Le refus systématique de la torture recule »

Un article rédigé par Bénédicte Buisson - RCF Calvados-Manche, le 30 octobre 2024 - Modifié le 30 octobre 2024
L'invité de la semaineL'ACAT : 50 ans d'engagement contre la torture et la peine de mort

Alors que l’Action des chrétiens pour l’abolition la torture fête cette année ses 50 ans, rencontre avec Guy Aurenche, lui qui a été l’une des pierres de fondations de l’ACAT. 

Guy Aurenche a été le président de l'ACAT de 1975 à 1982 ©RCF MancheGuy Aurenche a été le président de l'ACAT de 1975 à 1982 ©RCF Manche

Guy Aurenche, avocat à la cour d’appel de Paris, a été le deuxième président de l’ACAT de 1975 à 1982 et président de la FIACAT, la Fédération internationale des ACAT, pendant 11 ans. Il revient pour nous sur son engagement et sur la raison d'être de l’association d’hier à aujourd’hui.

RCF : L’ACAT fête ses 50 ans cette année. On fête 50 ans d’actions en faveur de la dignité humaine. Et en même temps, si l’association perdure aujourd’hui, c’est le signe que la torture est toujours d’actualité ? 

Guy Aurenche : C’est vrai que c’est un anniversaire qui est triste, parce qu’on aurait bien aimé pouvoir dire comme je disais en 1988 : «  Plus de torture en l’an 2000 », et j’y croyais ! Car, à cette période-là, la torture existait encore, mais elle était plutôt sur un chemin d’affaiblissement, et surtout la notion d’acceptation de la torture baissait. Or, on voit, depuis les attentats, que le sentiment de refus systématique de la torture sans exception recule. C’est notre tristesse et en même temps ça montre la nécessité de notre engagement. Il y a du travail, car plus de la moitié des pays du monde torture, et que, y compris dans nos sociétés démocratiques, l’acceptation de la torture dans certains cas revient. La torture n’est jamais loin de nos peurs. Elle peut paraître loin de nous, mais sachons qu’avec les appréhensions de la société actuelle, elle n’est pas très loin.

L'exemple de la création de l'ACAT peut nous mobiliser

RCF : C’était en 1974. Il y a 50 ans, l’ACAT voyait le jour. Quelle a été la genèse de cette association ?

Guy Aurenche : Je la rappelle avec émotion et avec la certitude que cet exemple peut nous mobiliser. Que se passe-t-il ? En 1973, deux dames protestantes, filles de pasteurs, plus très jeunes, entendent un pasteur italien qui rentrait du Vietnam. C’était la guerre du Vietnam à l’époque. Et ce pasteur raconte : « Je porte sur moi la photo d’une jeune femme qui a été emprisonnée, torturée, mise dans une cage à tigre ». Elle ne pouvait même pas s’allonger, elle est restée des années comme ça et elle en est devenue paralysée et psychologiquement traumatisée. Et ce pasteur ajoute : « Et nous chrétiens que faisons nous ? ». Voilà que ces deux femmes se disent : « On peut faire quelque chose ». Alors que ce n’étaient pas des militantes, elles n’avaient pas de connaissance particulière dans les droits humains. Dès le départ, elles veulent rassembler des protestants, des orthodoxes, des catholiques... Elles vont rencontrer l’un de mes amis, un avocat protestant qui va leur donner mon nom. 

RCF : Quelle est votre réaction quand elles s’adressent à vous ? 

Guy Aurenche : Comme on en a l’habitude dans les milieux chrétiens, les gens viennent vous dire : « Ça ne va pas vous prendre beaucoup de temps, c’est juste un petit service ». Elles me demandent de participer à leur conseil d’administration comme catholique. J’étais déjà engagé dans la défense des droits de l’homme alors j’ai dit oui. Je n’ai même pas demandé à mon épouse, je suis rentré chez moi et je lui ai dit : «J’ai vu deux vieilles dames protestantes qui m’ont demandé d’être une potiche catholique dans un mouvement contre la torture et j’ai dit oui». Et trois semaines après, je suis devenu président de l’association. J’y suis resté plusieurs années et cela a changé ma vie.

On parle de toi au-dehors

RCF : L’ACAT lance chaque mois un appel, proposant d’écrire un courrier de protestation aux autorités en faveur d’une personne torturée. Est-ce que ça marche ? 

Guy Aurenche : Oui ! Ça a remis en route des hommes et des femmes qui ont été enchaînés, martyrisés. Je revois encore ce commandant chilien, qui avait été emprisonné et torturé, me dire : « J’étais en prison, et un jour, j’ai entendu quelqu’un me crier : "On parle de toi au-dehors", alors je savais que j’étais sauvé ». Et je lui dis : « Mais vous n’étiez pas sauvé du tout. Vous êtes resté trois ans en prison, à nouveau torturé ». Il tape du poing sur la table et dit : « J’étais sauvé, je n’étais plus seul. Je devinais que des hommes et des femmes s’étaient organisés et avaient porté mon nom pour protester ». Cette phrase, « On parle de toi au-dehors », ce sont des lettres, des pétitions, des manifestations, mais c’est aussi la prière, l’un des piliers de l’ACAT. 

RCF : Comment faire pour que les chrétiens se sentent concernés, responsables de ce drame de la torture qui peut leur paraître loin ? 

Guy Aurenche : Il y a 2000 ans, quelqu’un nous raconte une histoire. Un homme était sur la route qui descendait de Jérusalem à Jéricho, il entend le cri d’un blessé. Il n’était pas responsable de la blessure et pourtant, ce Samaritain entend ce cri et s’arrête. Albert Camus, en 1948 lors d’une conférence chez les frères dominicains à Paris, avait dit : « Si les millions de chrétiens se mobilisaient, rendez-vous compte de la force que pourrait avoir cette mobilisation ». Une goutte d’eau qui s’allie à une autre goutte peut redonner vie. Il nous faut réagir au « à quoi bon ». Ce « à quoi bon », c’est le début de notre perte. Si le Samaritain sur la route s’était dit « à quoi bon » , la victime serait morte.

Vous n’arrivez peut-être pas à me sauver de la torture, mais sauvez moi de la solitude. 

RCF : Parmi toutes les personnes que vous avez rencontrées, quel est le cri que vous entendez encore ?

Guy Aurenche : C’est un cri positif : « Lorsque j’apprends qu’une action est faite pour moi, je ne suis pas seul. Sauvez-moi de la solitude, vous n’arrivez peut-être pas à me sauver de la torture, mais sauvez moi de la solitude ». Nombreux sont ceux qui répondent à ce cri ! 

Écoutez l’intégralité de l’interview

L'invité de la semaine
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
L'invité de la semaine
L'invité de la semaine
Cet article vous a plu ?
partager le lien ...

RCF vit grâce à vos dons

RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation  de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !

Faire un don
Qui sommes-nous ?

RCF est créée en 1982, à l'initiative de l'archevêque de Lyon, Monseigneur Decourtray, et du Père Emmanuel Payen. Dès l'origine, RCF porte l'ambition de diffuser un message d'espérance et de proposer au plus grand nombre une lecture chrétienne de la société et de l'actualité.

Forte de 600.000 auditeurs chaque jour, RCF compte désormais 64 radios locales et 270 fréquences en France et en Belgique. Ces 64 radios associatives reconnues d'intérêt général vivent essentiellement des dons de leurs auditeurs.

Information, culture, spiritualité, vie quotidienne : RCF propose un programme grand public, généraliste, de proximité.Le réseau RCF compte 300 salariés et 3.000 bénévoles.

RCF
toujours dans
ma poche !
Téléchargez l'app RCF
Google PlayApp Store
logo RCFv2.14.0 (21796db) - ©2024 RCF Radio. Tous droits réservés. Images non libres de droits.