C'est l'autre actualité du 7 octobre dernier. Éclipsé par l'attaque des combattants du Hamas en Israël, le séisme en Afghanistan est passé sous les radars des médias du monde entier. Pourtant, le bilan humain dépasse les 2 000 morts et le pays s'enfonce toujours un peu plus dans la crise humanitaire. Sur place, les ONG doivent composer au sein d'un régime taliban toujours plus restrictif pour le droit des femmes. Le personnel féminin ne peut intervenir que localement et discrètement, tandis que les aides internationales tardent à arriver. Décryptage.
Depuis 10 jours et l’intrusion du Hamas en Israël, les médias du monde entier sont en boucle sur ce tournant historique au Proche-Orient. Le bilan humain ne cesse de s’alourdir : plus de 4 000 morts et 15 000 blessés dans la région. La majorité des victimes sont civiles, impuissantes face à l’horreur d’un conflit qui refait surface. Le 7 octobre, le monde découvre avec effroi les images sur les réseaux sociaux. Ce jour-là, les dernières informations provenant d’Israël vampirisent l’ensemble de l’actualité, et laissent ainsi peu de place à un autre drame humanitaire qui se joue à 2 500 kilomètres d’Israël.
Le matin du 7 octobre 2023, la situation en Israël éclipse la catastrophe en cours en Afghanistan. Il est environ 9 heures, lorsqu'un séisme de magnitude 6,3 secoue l’ouest de l’Afghanistan. Le nord de la ville d’Herat est frappé de plein fouet par le tremblement de terre. Bilan : plus de 2000 morts selon l’OMS, des dizaines de villages détruits, et un pays qui s’enfonce un peu plus dans la crise économique et humanitaire.
Malgré ce constat terrible, la communauté internationale est déjà tournée vers Israël visé par une attaque terrestre par les combattants du Hamas. De plus, la situation du régime afghan freine toutes coopérations des institutions internationales. Depuis le 15 août 2021, le gouvernement de Kaboul est sous la pression des Talibans. Le groupe islamiste s’empare du régime et s’isole du monde occidental en bafouant à la fois le droit des femmes, mais aussi le droit international. Seules quelques ONG tentent d’intervenir, mais difficilement.
L’Afghanistan n’intéresse plus personne, c’est le drame de ce pays
“L’Afghanistan n’intéresse plus personne, c’est le drame de ce pays. Le monde ne veut plus en entendre parler car l'Afghanistan a été un cauchemar pour la communauté internationale ces dernières années. Il y a cette politique de l’autruche : on ne veut plus voir le malheur afghan”, déplore Jean-Charles Jauffret, professeur émérite des Universités en histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, spécialiste de l’Afghanistan.
Précisons tout de même que l’ONU et l’Union européenne ont respectivement débloqué des aides de 5 millions de dollars et 3,5 millions d’euros. Des sommes certes, mais pas suffisantes, elles représentent seulement un tiers du budget dont ont besoin les ONG pour venir convenablement en aide aux populations locales.
Le pays martyrisé par la guerre, considéré comme l’un des plus pauvres du monde, est aussi soumis à la violence des éléments naturels et de son sous-sol. Depuis le séisme du 7 octobre, deux autres tremblements de terre - le 11 et le 15 octobre - de magnitudes équivalentes ont touché la région.
Les ONG ont pu s’organiser pour venir en aide aux victimes. “Nous avons pu déployer en urgence des équipes de santé mobiles qui ont pu se déplacer rapidement et s'occuper des blessés. Ils ont pu distribuer des repas, des couvertures et de l’eau”, assure Mélissa Cornet, porte-parole de l’ONG Care, présente sur place. “Il faut imaginer ce que ça fait de devoir subir trois tremblements de terre coup sur coup”, souffle-t-elle, essayant de faire comprendre “cet impact sur la santé mentale qui est immense”.
Une santé mentale qui se fragilise, et une crise humanitaire et économique qui touche désormais presque l’ensemble de la population afghane. Aujourd’hui, 95 % des Afghans vivent sous le seuil de pauvreté et la majorité souffre de la faim.
Pour autant, face à ce contexte humanitaire déplorable, doit-on travailler avec un régime Taliban, islamiste, archaïque dans sa pensée, répressif au droit des femmes ? “Le problème est là”, s’insurge Jean-Charles Jauffret. “Il y a des ONG sur place qui font ce qu’elles peuvent, mais elles ont été privées de leur personnel féminin”. Dans un pays patriarcal où le droit du genre est martyrisé, l’intervention féminine au sein des ONG est, chaque jour, plus difficile.
Il y a des ONG sur place qui font ce qu’elles peuvent, mais elles ont été privées de leur personnel féminin
Cependant, depuis dix jours et le premier séisme, les ONG ont pu intervenir sur place : l’agence des Nations unies pour les migrations a envoyé quatre ambulances, des médecins et des psychologues à l’hôpital régional de Hérat. De son côté, Médecin sans frontières a aussi installé cinq tentes médicales dans l’établissement. Enfin, selon nos informations, l’ONG Médecins du monde est en lien avec les autorités pour des donations de médicament, seulement “si les talibans leur facilitent la tâche”. Preuve de la difficulté de réponse opérationnelle sur place.
Un constat qui s’est évidemment accentué ces deux dernières années avec l’arrivée du régime islamiste au pouvoir. “Les ONG restent en première ligne, arrivent à répondre aux besoins d’urgence comme les tremblements de terre. Mais on n’arrive pas à trouver des solutions à long terme”, s’exaspère Mélissa Cornet. Le régime islamiste a en effet une vision assez court-termiste de la situation. Le directeur du bureau politique des Talibans au Qatar a demandé “l’envoi d’une aide d’urgence sous forme de denrées, eau potable, médicaments et tentes”.
Envoyer des vivres plutôt qu’une aide monétaire, c’est aussi devenu la solution pour éviter que cet argent arrive dans les poches des mauvaises personnes. En clair, que les talibans s’en servent pour tout, sauf pour entreprendre une politique de sécurité civile.
C’est le pillage de l’aide internationale
La présence talibane au chevet des victimes depuis le 7 octobre étant presque inexistante, c'est donc l'aide humanitaire qui doit récupérer cette aide. “Logiquement, cet argent doit d’abord aller aux ONG qui sont sur place, mais j’en doute. L’année dernière, dans l’affaire du choléra, la France a envoyé 120 millions d’euros. Je ne sais pas s’ils sont allés vraiment aux personnes concernées” doute Jean-Charles Jauffret. “C’est le pillage de l’aide internationale”, se lamente le professeur.
Un constat déploré, regretté par les spécialistes de l’Afghanistan qui souhaitent remettre la lumière sur cette région du monde, un petit peu trop oubliée des plateaux télévisions ces dernières semaines.
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