Et maintenant ? Que faire après cet état des lieux accablant sur les abus sexuels dans l’Église ? Deux jours après la publication du rapport de la commission sur les abus sexuels dans l’Eglise (CIASE), RCF se penche sur les chantiers à venir. La commission a formulé 45 préconisations que l’épiscopat français sera libre de suivre ou non.
Il y a d’abord l’enjeu crucial de l’indemnisation des victimes. Alors que de nombreux faits sont prescrits, que certains auteurs de violences sexuelles sont morts, une justice réparatrice s'impose dans le débat. C'est ce qui a été au cœur de l'allocution de François Devaux en ouverture de la conférence de publication du rapport mardi. "Vous devez payer pour tous ces crimes", a affirmé cette victime du père Preynat et fondateur de l'association La Parole Libérée, comme un ordre donné aux représentants de l'église française. Le président de la CIASE, Jean-Marc Sauvé a parlé d’un "dû" de l’Eglise.
Une position que partage Caroline, victime d'agressions sexuelles il y a 30 ans dans un monastère. "Quand je vois dans quelle précarité ça nous a mis…", souffle celle qui a vu sa vie basculer depuis. Une réparation financière pourrait l'aider à s'en sortir. "Je ne peux plus travailler parce que j’ai été bien abîmée physiquement dans différents monastères. Je vis aujourd’hui avec l'allocation adulte handicapé", explique Caroline, désormais présidente de l’association Espérance Résilience.
Mais la question est épineuse pour les évêques français. 216.000 enfants ont été agressés sexuellement par des prêtres ou religieux depuis 1950. Cela représenterait des milliards d'euros de réparation. Or, si la conférence des évêques de France a créé un fonds de dotation, il ne réunit aujourd'hui qu'environ 5 millions d'euros. La marche est donc très haute. "Nous n'avons pas les moyens de dédommager donc il faut que nous voyons comment nous pouvons réunir les sommes nécessaires", affirme le président de la conférence des évêques de France Mgr Eric de Moulins-Beaufort, qui n'exclut pas d'ouvrir une collecte de dons pour les fidèles. Une idée balayée par la CIASE, plutôt favorable à une reconnaissance de la responsabilité de l'église en tant qu'institution.
Mgr Eric de Moulins-Beaufort a par ailleurs fait réagir en affirmant sur France Info mercredi que ce secret était "supérieur aux lois de la République". La commission sur les abus sexuels dans l’Eglise estime que le secret de la confession ne peut être "opposé à l'obligation de dénoncer des crimes sexuels sur les mineurs ou les personnes vulnérables".
Pourtant, ce secret est un principe majeur dans le droit canonique. Si un prêtre le trahit, il risque l’excommunication. Le sujet est donc très sensible. "Quand le pénitent s’adresse au confesseur, il s’adresse à Dieu. Si le ministre s’interpose en bloquant la confession ce n’est plus le processus de la pénitence. Ça ne dégage en rien l’institution de sa responsabilité. Il y a déjà peut-être moyen d’inciter l’enfant à en parler à quelqu’un d’autre mais il est important qu’il sache que ce qu’il dit dans la confession ne lui échappera pas", analyse Thibault Joubert, spécialiste du droit canonique et maître de conférence à l’université de Strasbourg.
Un constat a été fait durant ces deux ans et demi de travaux : les prêtres qui ont commis des agressions sexuelles ont souvent utilisé leur statut de supériorité pour renforcer leur emprise sur certains enfants, poussés par une survalorisation de la figure du prêtre. Il est donc nécessaire d’adapter leur formation, "pour essayer de penser le statut de l’enfant et le statut du prêtre dans l’économie générale du christianisme”, explique Philippe Portier, sociologue spécialiste des religions et membre de la CIASE. "Ça ne touche pas tant la théologie que la façon de penser la figure du prêtre", ajoute-t-il.
C’est aussi un problème de gouvernance dans l’Église qui a pu conduire à passer sous silence certaines agressions sexuelles et donc la CIASE préconise de la réformer. Selon Philippe Portier, il est nécessaire de faire de la place aux laïcs et notamment aux femmes. "Il existe très souvent des structures de gouvernement qui facilitent un entre-soi et cet entre-soi, parce qu’il ne permet pas l’émergence de contre pouvoir, nous semble faciliter la dissimulation des violences. Nous préconisons un espace ecclésial plus ouvert à la participation des laïcs et des femmes qui viendraient briser l’entre-soi pour essayer d’introduire un regard externe", conclut-il.
Ces préconisations n'obligent en rien l’Eglise de France. Mais elles seront au cœur des réunions de la conférence des évêques de France et de celle des religieux et religieuses de France (CORREF) à Lourdes en novembre.
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