La commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise catholique (CIASE) a rendu son rapport, mardi 5 octobre, à la Conférence des évêques de France et la Conférence des religieux et religieuses de France. Décryptage de l'état des lieux et des préconisations dans cette émission spéciale.
Le rapport de la CIASE recense 216.000 victimes d’abus sexuels commis par au moins 3000 prêtres depuis 1950 en France. Le nombre de victimes passe à 330.000 si l’on prend en compte les abus commis par des laïcs dans l’Eglise, des personnes qui travaillent dans des aumôneries et des établissements scolaires par exemple. Les violences pédocriminelles concernent à 80 % des jeunes garçons de 10 à 13 ans. Le rapport cible en particulier les années 1950 à 1970. Selon Jean-Marc Sauvé, le président de la CIASE, 56 % des abus recensés ont été commis dans ces années-là. Les chiffres diminuent ensuite mais aujourd’hui ils stagnent. Pour Jean-Marc Sauvé, c’est un problème qui persiste.
Pour en parler, plusieurs invités dans cette émission spéciale sur RCF, animée par Etienne Pépin, rédacteur en chef du service Actualités :
Brigitte Navail, victime d’un prêtre dans son enfance et membre du collectif Foi et résilience,
Mgr Luc Crepy, évêque de Versailles, président depuis 5 ans de la cellule permanente de lutte contre la pédophilie à la Conférence des évêques de France,
Marie-Jo Thiel, professeur d’éthique et de théologie morale, médecin et philosophe,
Céline Hoyeau, journaliste au journal La Croix, qui travaille depuis de nombreuses années sur les abus sexuels dans l’Eglise.
"C’est l’aboutissement de trois années chargées et puis c’est une reconnaissance de notre parole. Notre parole enfin prend corps, prend du sens et elle est reconnue comme une parole forte", affirme Brigitte Navail, membre du collectif Foi et résilience, après la publication du rapport. Mgr Luc Crepy, lui, est habité par "un sentiment de honte". L’évêque de Versailles affirme que "c’est odieux d’avoir cette réalité de prêtres qui ont profité de leur pouvoir, de leur emprise, de leur ascendant sur les enfants pour exercer leur perversité".
216.000 personnes ont été victimes d’abus par des prêtres ou des religieux depuis 1950 en France. "J’ai été frappée par l’écart entre ces 2.700 personnes qui se sont adressées à la CIASE et puis il y en a 216.000 estimées et donc elles sont silencieuses. Où sont-elles ? Je me pose la question de l’impact de ces abus dans la déchristianisation en France", s’interroge Céline Hoyeau, journaliste au journal La Croix.
Pour Mgr Luc Crepy, "les mesures qui ont été prises ont été importantes mais il y a encore beaucoup à faire, le chemin est encore long". Se sent-il coupable de certains manquements ? "La culpabilité incombe aux agresseurs mais elle incombe aussi à la manière dont les responsables dans l’Eglise ont géré cette question et comment les évêques ont su ou n’ont pas su voir les choses. C’est une responsabilité que j’assume en tant qu’évêque", répond-il.
La question de la réparation financière est essentielle dans ce dossier, autant qu’elle l’est pour les victimes. "On a été empêchés d’être. Les victimes ne demandent pas le secours, mais la justice. On pourra jamais réparer totalement mais symboliquement, le fait de reconnaître qu’il y a eu un préjudice, c’est les restaurer dans leur dignité. Cette réparation financière permet de restaurer la personne dans sa dignité", affirme Brigitte Navail.
Mais la question n’est pas résolue pour l’épiscopat français. "Il faut maintenant qu’on réfléchisse sur la manière de penser cette contribution financière. On ne rachète pas la douleur", tempère Mgr Crepy. Pour Marie-Jo Thiel, c’est important mais insuffisant : "C’est comme si on mettait un pansement mais si on ne s’occupe pas de l’Eglise, de la hiérarchie, de la gouvernance, on ne fera que continuer et dans 30 ans on sera encore au même niveau". Brigitte Navail de conclure : "Il faut que ça coûte à l’Eglise de réparer des personnes victimes sinon on va tourner la page d’un dossier".
La CIASE préconise également des changements plus profonds, sans remettre en cause le dogme. "Le rapport invite à instituer un mémorial, une sorte de repentance", explique la journaliste Céline Hoyeau.
Par ailleurs, Jean-Marc Sauvé a affirmé que "le secret de la confession ne peut pas être opposé à l’obligation de dénoncer des atteintes graves sur des mineurs et des personnes vulnérables". La question est sensible, mais "il y a quelque chose à creuser et à réfléchir", selon Mgr Crepy, pour les cas où l’enfant ferait part d’une situation où il est en danger.
Par ailleurs, la CIASE incite à ce que les violences sexuelles, en droit canonique, se réfèrent au cinquième commandement ("Tu ne tueras pas") et non plus au sixième ("Tu ne commettras pas d’adultère"). Une bonne chose selon Marie-Jo Thiel : "Les viols c’est une intrusion de la mort dans le corps de l’autre donc le commandement qui s’appliquerait c'est 'Tu ne tueras point'".
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