C’est une première dans l'histoire de la Ve République. Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, toujours en fonction, est jugé à partir d’aujourd’hui pour des soupçons de prise illégale d'intérêts. Il comparaît devant la Cour de justice de la République, seule institution habilitée à juger les ministres, anciens ministres ou secrétaires d’Etat pour des crimes et des délits commis dans l’exercice de leur fonction. Il est reproché à Eric Dupond-Moretti d'avoir usé de sa fonction de ministre pour régler des comptes avec des magistrats avec qui il avait eu des différends lorsqu'il était avocat. Face à la pression, le gouvernement fait bloc derrière son garde des Sceaux.
Le téléphone coupé, dix jours dans une salle d’audience. Pourtant, pas de quoi refroidir Eric Dupond-Moretti qui gardera les rênes du ministère de la Justice toute la durée du procès, jusqu'au 17 novembre.
Pas besoin d’intérim, justifie le gouvernement qui assure que des mesures pratiques seront prises pour le bon fonctionnement de l'Etat. Derrière cette stratégie de défense d'Eric Dupont-Moretti, menée par l'exécutif, il y a la volonté de minimiser le procès et de "ne pas se comporter comme un coupable”.
Pourtant, c'est bien la première fois qu’un ministre est jugé pour des faits commis dans l'exercice de ses fonctions, alors qu'il exerce toujours ces fonctions. De plus, c'est le ministre en charge des magistrats qui comparaît.
C'est hors-norme selon Cécile Bargues, professeur de droit public à l'Université Paris-Panthéon-Assas. "On est évidemment dans un cas tout à fait exceptionnel. Le garde des Sceaux, ministre en exercice, qui est jugé par des juges professionnels, sur lesquels il n'a pas véritablement d'autorité, mais avec lesquels il a pu travailler. Et même entretenu de très mauvais rapport", rappelle la professeure en droit public.
Eric Dupond Moretti sera jugé par trois magistrats professionnels et douze parlementaires, dont certains sont de farouches adversaires. La politique ne sera donc pas loin.
Sur le banc des prévenus en ouverture de procès, Eric Dupont-Moretti n'a pas hésité à qualifier ce procès "d'infamie" pour lui et ses proches. Pourtant, en face - et c'est une particularité de la Cour de justice de la République - aucune partie civile n'est présent, pas même les plaignants. Pour Me Christophe Clerc, avocat des deux syndicats de magistrats à l'origine de la plainte, il y a un défaut dans l'essence même de la Cour de justice de la République : aucune partie civile ne sera entendu.
"Aujourd'hui, il y a un déséquilibre. Le principe de l'égalité des armes qui est un principe fondamental de nos droits, n'est pas respecté devant la Cour de justice de la République", rappelle Me Christophe Clerc. "Nous ne pouvons pas plaider, nous ne pouvons pas interroger les témoins. C'est problématique", s'insurge l'avocat.
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