Tout s’est passé très vite lundi, en Birmanie. Quelques heures ont suffi à faire basculer le régime. Les militaires ont repris le pouvoir et arrêté la cheffe du gouvernement Aung San Suu Kyi, et les leaders de son parti. L’état d’urgence est proclamé pour un an. La Birmanie était sortie il y a tout juste dix ans d’une dictature militaire au pouvoir pendant presque un demi-siècle. Enfin presque sorti car le pays était encore hier régi par une constitution hybride laissant des secteurs clés aux mains des militaires.
Ce coup nouveau d’État a été déclenché alors que le Parlement issu des dernières législatives devait être installé lundi. Elles ont été largement remportées en novembre dernier par la ligue nationale pour la démocratie, le parti d’Aung San Su Khi. "C’est à partir de la victoire incontestable de la ligue nationale pour la démocratie que l’armée a décidé d’agir vite parce que le processus était en train de lui échapper. En 2008, le parti de l’union nationale pour la solidarité et le développement a été créé, qui est en fait un parti de l’armée. Or en 2015, ils ont perdu de nombreux sièges et il y a une perte d’influence de l’armée", rappelle Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse associée au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales. Les militaires accusent la commission électorale de ne pas avoir remédié aux "irrégularités" qui ont eu lieu, selon eux, lors des législatives de novembre.
Les origines du coup d’état sont multiples. Les militaires ont toujours gardé l’œil sur de nombreux dossiers. Depuis l’indépendance, là où il y a de l’argent à faire en Birmanie, il y a l’armée. "Pendant plus de cinq décénnies, l'armée a dirigé le développement de la Birmanie et donc a été très impliquée. Il y a une volonté aujourd'hui de la part du militaire de reprendre le contrôle des affaires", explique Sophie Boisseau du Rocher
L’armée est-elle durablement de retour dans le pays ? C’est toute la question. Ce coup d’État a été sévèrement condamné à l’international. Le président américain Biden exige que les militaires rendent le pouvoir. L’Union européenne réclame "la libération immédiate" des personnes détenues. L’ex-cheffe du gouvernement Aung San Su Khi, elle, appelle ses partisans à résister.
Mais les communications sont coupées, internet est au ralenti, l’armée est dans les rues. Surtout, la junte, dans son histoire, a toujours été implacable dans la répression et pas vraiment sensible aux pressions étrangères. "Est-ce qu’il y aura une possibilité de manifester ou de résister ? C’est difficile à dire étant donné que Aung San Suu Kyi est en prison et par ailleurs les militaires n’ont pas l’habitude de se laisser impressionner par les intimidations extérieures", rappelle Bénédicte Brac de la Perrière, anthropologue au CNRS, spécialiste de la Birmanie.
Aung San Suu Kyi est une icône écornée depuis 2017 et le drame des Rohingyas, cette population birmane de confession musulmane expulsée par l’armée vers le Bangladesh et massacrée. Une plainte pour génocide a été déposée contre la Birmanie devant la cours pénale internationale. Et Aung San Suu Kyi n’avait pas pris parti pour les Rohingyas, ce qui lui avait été reproché en Occident.
Sur le plan interne Aung San Suu Kyi a commis des erreurs. "Aung San Suu Kyi paye aussi certaines faiblesses de sa législature et parce qu'elle dirige le pays de façon relativement autocritique et sans laisser de place aux jeunes. Elle contrôlait tellement tous les rouages du parti qu'en son absence, le parti ne peut plus assurer ses responsabilités", estime Sophie Boisseau du Rocher.
Avant le putsch, plusieurs régions du pays étaient encore sous tension, avec des populations en rebellion et des affrontements avec l’armée qui ont entrainé le déplacement de milliers de personnes. La mise en place de l’état d’urgence inquiète les humanitaires. "C’est plutôt ce qui va avec cet état d’urgence. C’est de pouvoir délivrer cette aide humanitaire. À côté des services de santé, il y a la question de l’accès à la nourriture, aux services d'hygiène. On a vu des mouvements de panique dans les supermarchés pendant la première vague de l'épidémie", témoigne Amal Huart, responsable du pole Asie à l’ONG Première urgence.
De nombreuses ONG redoutent un repli de la Birmanie sur elle-même comme aux plus belles heures de la dictature. En pleine pandémie de Covid-19, cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques
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