Quelles méthodes pour prévenir le harcèlement scolaire ?
En partenariat avec VERS LE HAUT
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Comment juger les auteurs de harcèlement scolaire ? Ces dernières années, la lutte contre ce fléau s’est considérablement judiciarisée. En mars 2022, les pouvoirs publics ont décidé de faire du harcèlement un délit et fin septembre le gouvernement a annoncé la saisine "systématique" du procureur de la République en cas de signalement de harcèlement. Les cas de harcèlement se révèlent complexes à gérer pour la justice. Surtout, le judiciaire ne doit pas être l’unique réponse faite aux élèves harceleurs. Le rôle de l’Éducation nationale est primordial concernant la détection, la prise de conscience et le discernement.
La question de la gestion d’élève harceleur est délicate en premier lieu parce qu’il n’existe pas d’élève harceleur au singulier. Il s’agit d’une dynamique de groupe. “Il y a une victime et un groupe” soutient Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie et pionnier de la lutte contre le harcèlement scolaire.
Il a cofondé le Centre de ressources et d'études systémiques sur les intimidations scolaires et travaille justement sur les réponses à donner au harcèlement. “Lorsqu’il y a un surnom, c’est tout le monde qui le reprend, lorsqu’il y a une moquerie, c’est tout le monde qui rit, lorsqu’il y a une mise à l’écart, c’est tout le monde qui met à l’écart, sinon cela ne ferait pas souffrir” développe-t-il.
Les harceleurs ne sont pas les enfants des autres, ce sont nos enfants
Il s’agit donc en priorité de casser ces dynamiques de groupe. Mais la première difficulté est de déterminer les élèves qu’il faut considérer comme les harceleurs. “S’imaginer qu’il y a des harceleurs identifiés qui sont, en gros, les enfants des autres, c’est une façon fausse de voir les choses” argue Jean-Pierre Bellon. “Les harceleurs ce ne sont pas les enfants des autres, ce sont nos enfants”.
Pour casser la dynamique de groupe, il faut ré-individualiser l’approche de chaque élève. “Les professionnels des établissements scolaires doivent défaire l’effet de groupe en plaçant les élèves ayant participé aux brimades, en situation de trouver une solution à celui qu’ils ont mis en difficulté”. C’est l’approche que l’Éducation nationale a nommée : “méthode de préoccupation partagée”.
Cet outil est inclus dans le programme pHARe, mis en place en 2019 par le gouvernement. Il vise à détecter, avec des professionnels formés, les prémices d’une situation de harcèlement pour la désamorcer. Ensuite, “lorsque le fait est révélé, l’équipe pluridisciplinaire pHARe va prendre en charge les entretiens” retrace Layla Ben Chikh, principale d’un collège de l’académie de Nice. “Il y a des équipes qui vont particulièrement s’occuper de la victime pour la soutenir et l'accompagner et il y a des membres qui vont s’occuper des intimidateurs présumés” continue-t-elle.
“Il s’agit d’un protocole non blâmant qui s’étend sur quinze jours où l’idée n’est pas de sanctionner les auteurs présumés, mais par effet de sidération et d’empathie en même temps, de faire en sorte que l’élève fasse cesser la situation de harcèlement. On essaye d’obtenir son adhésion en lui faisant dire qu’un élève dans la classe ne se sent pas très bien. On le revoit ensuite le lendemain pour l’amener progressivement à ressentir de la sidération pour qu’il développe ensuite de l’empathie vis-à-vis de la personne harcelée.”
On ne viendra à bout du harcèlement qu’en implantant une équipe formée dans chaque établissement
Ce dispositif PHARe est intégré dans 64 % des écoles, 91 % des collèges et doit être étendu aux Lycées selon le ministère. Ce programme nécessite de former des personnes dédiées à cette question. La présence des équipes augmente, mais il manque encore beaucoup d’infirmières scolaires, d’assistantes sociales ou encore de psychologues de l’Éducation nationale. “On ne viendra à bout du harcèlement qu’en implantant une équipe formée dans chaque collège, chaque école, chaque lycée” martèle Jean-Pierre Bellon.
Si l’objectif avec le programme pHARe est de prévenir des situations de harcèlement ou de désamorcer des crises en gestation, lorsque le phénomène atteint un certain degré, il nécessite d’autres outils. Pour la rentrée 2023, le ministre de l’Éducation, Gabriel Attal a annoncé que désormais un changement d'établissement de l'élève harceleur peut être prononcé en cas de harcèlement grave. Ce n’est plus à la victime de fuir son lieu de cours.
Les harceleurs sont souvent en souffrance également
Un nouvel instrument qui peut-être utile, selon Layla Ben Chikh, mais qui doit être assorti d’un accompagnement de l’élève expulsé. “Il faut s’interroger pour comprendre les raisons pour lesquelles l’élève harceleur a pu agir de la sorte” explique celle qui est aussi membre du Snpden-Unsa, le syndicat majoritaire des personnels de direction. “Les harceleurs sont souvent des anciennes victimes de harcèlement, ils sont souvent en souffrance également et il faut donc une prise en charge et un traitement pour les élèves harceleurs” poursuit-elle.
Enfin, ces dernières années, la lutte contre le harcèlement scolaire a pris un tournant judiciaire. En mars 2022, les pouvoirs publics ont décidé de faire du harcèlement un délit et fin septembre le gouvernement a annoncé la saisine "systématique" du procureur de la République en cas de signalement de harcèlement. Une mesure qui pose plusieurs questions.
En premier lieu celle du discernement pour les directeurs. “Pour en arriver à déclencher l’article 40, le signalement au procureur et donc établir l’acte délictuel, cela nécessite l’engagement d’une procédure disciplinaire de la part du chef d’établissement” détaille Layla Ben Chikh. On doit alors définir ce qui constitue des faits de harcèlements “graves”. “Lorsqu’il y a des moqueries, des menaces, notamment en ligne, qui portent une atteinte importante à la santé d’un élève” délimite la proviseur.
Il ne faut pas considérer que la justice est la solution à toutes les affaires de harcèlement
Même son de cloche du côté des parquets, cette judiciarisation de la question doit se faire en bonne intelligence avec l’Éducation nationale. “C’est un partenariat qui doit se nouer au niveau local sous la férule des procureurs de la République” détaille Aurélien Martini vice-procureur du tribunal judiciaire de Melun, ancien chef de la section des mineurs. “Il ne faut pas considérer que la justice est la solution à tout et certaines affaires doivent pouvoir trouver une solution au sein de l’Éducation nationale”. De toute façon, la justice ne pourra pas tout gérer, prévient celui qui est aussi secrétaire général adjoint de l’Union syndicale des magistrats. “Les parquets ne sont pas en mesure de traiter tous les cas qualitativement si on leur signale tous les cas.”
Ensuite, pour les affaires qui sont traitées, il y a une enquête pour établir les faits de harcèlement. Enquête classique avec notamment la brigade locale de protection des familles. Mais la difficulté pour les magistrats est d’établir le lien de causalité entre ce harcèlement et la santé de la victime. “On a tendance à croire que le harcèlement, est simplement constitué des faits répétés, alors que d’un point de vue judiciaire il faut que ces faits aient pour effet ou pour objet de nuire à la santé de celui qui les subis” expose Aurélien Martini.
Ce lien de causalité entre le harcèlement et la santé de la victime est parfois très compliqué à établir. Début novembre, par exemple, les quatre mineurs poursuivis pour harcèlement après le suicide de Lucas en janvier 2023 ont été relaxés en appel. La Cour a bien souligné le caractère “odieux” des propos, mais elle n’a pas été en mesure de démontrer le lien de causalité avec le suicide du collégien. “Il y a parfois une incompréhension de l’opinion face à certaines décisions judiciaires, il faut bien comprendre qu’au plan pénal, la preuve du harcèlement ne se limite pas à la preuve de la matérialité des faits” étaye Aurélien Martini
La justice va donc travailler avec des enquêteurs classiques, mais également des médecins comme des experts psychiatres pour établir ce lien. “Souvent lorsqu’un jeune élève va mal, c’est multifactoriel donc cela peut être difficile de relier directement les agissements du harceleur au passage à l’acte lorsqu’il y a suicide ou tentative de suicide” explique Aurélien Martini
Si la responsabilité est établie d’un point de vue judiciaire, depuis mars 2022 les coupables de harcèlement risquent jusqu’à 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende lorsque les faits entraînent une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours et jusqu’a 10 ans de prison de 150 000 euros d’amende en cas de suicide ou tentative de suicide de la victime. Reste que sur ces cas de harcèlement la justice va privilégier des peines éducatives sur les peines répressives. En dessous de 13 ans, les peines éducatives comme la participation à un stage de citoyenneté, sont obligatoires. Entre 13 ans et 18 ans, on peut avoir des peines classiques, mais le code impose là aussi de faire primer l'éducation.
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