C’est un retour inattendu dans le débat public. À la faveur de la campagne présidentielle, la question des droits de succession semble passionner tous les candidats, chacun y va de sa proposition pour repenser l’héritage. Mais, loin d’être uniquement économique, cette question doit aussi être considérée sous un prisme historique, familiale, sociologique, intimiste, et même philosophique.
Avant toute question politique, la succession, c’est d’abord des bases : notamment sur l’héritage direct et indirect. Avec une transmission de vos parents, c'est -à -dire en ligne directe, vous ne payez aucun droit de succession jusqu’à 100 000 euros. En revanche, lorsqu’on vous héritez d’une tante, d’un oncle, ou autre, c’est une transmission indirecte, les droits de succession prennent alors une dimension beaucoup plus confiscatoire avec des taxes à 45%, entre frères et sœurs, à 55% entre neveux et nièces et à 60% pour les autres.
Sur le plan politique, la question des droits de succession fait un peu figure d’invité surprise. Marine Le Pen et Eric Zemmour veulent alléger la fiscalité sur les successions, notamment les donations du vivant, des sommes que les parents peuvent donner à leurs enfants de leur vivant, pour la présidente du Rassemblement Nationale, et la transmission d’entreprises familiales pour l’ancien polémiste.
Au-delà de 12 millions d'euros je prends tout
Même chose pour Valérie Pécresse, mais qui veut aussi créer un "choc de transmission". "J'assume qu'on puisse transmettre son patrimoine à ses enfants. C'est le fruit d'une vie de travail qui a été taxé, hypertaxé et retaxé", a-t-elle expliqué dans une interview au Figaro. Elle propose de remonter à 200 000 euros l’abattement fiscal pour les transmissions directes et à 100 000 euros pour les transmissions indirectes.
Du côté de l’exécutif, Emmanuel Macron penche plutôt vers des allègements fiscaux sur les droits de succession, à l’inverse de ses propositions de 2017. Enfin, à gauche, sans surprise, Yannick Jadot et Anne Hidalgo ciblent les hauts patrimoines. Le premier veut s’attaquer aux niches fiscales, et la seconde veut "augmenter les impôts des successions pour les très hauts patrimoines" supérieurs à 2 millions d'euros. La mesure la plus ambitieuse vient de Jean-Luc Mélenchon qui veut plafonner tous les héritages à 12 millions d’euros. “Au-delà de je prends tout” assure le candidat Insoumis.
Alors pourquoi les droits de succession sont-ils de retour dans le débat public ? D’abord, parce que les politiques suivent les tendances des économistes. Or, dans la lignée de Thomas Piketty, il y a une dizaine d'années, la question de l’héritage est revenue dans le débat économique. Plusieurs rapports sont d’ailleurs sortis ces dernières années, comme le rapport Tirole-Blanchard, l’an passé, commandé par l’Élysée. Le plus récent date de décembre 2021 et il est signé du Conseil d’Analyse Économique.
“C’est assez surprenant de voir le retour de cette question aujourd’hui, car le contexte était le même il y a cinq ans” s’étonne Nicolas Frémeaux, maître de conférences. Université Panthéon Assas et auteur du livre, Les Nouveaux Héritiers (2018 ed. Seuil). Si on desserre un peu la focale, “l’élément assez frappant, c’est le lien entre le poids de l’héritage dans la société et l’importance qu’il va avoir dans le débat”. Or aujourd’hui, la succession occupe une place très importante dans le patrimoine français.
L'héritage porte en lui le risque d’un dérèglement profond de l’égalité des chances
“Il y a deux moyens d’avoir du patrimoine : un revenu avec lequel vous épargnez ou achetez des biens immobiliers, où alors l’héritage” résume Nicolas Frémeaux. “En France dans les années 1970, le patrimoine des Français était constitué d’un tiers d’héritage et de deux tiers d’épargne. Aujourd’hui, c’est l’inverse, deux d’héritage et un tiers d’épargne. Nous sommes donc de retour, en France, dans une société d’héritiers”.
Dans une société dominée par les héritiers, plusieurs problèmes surgissent comme le brassage de la richesse, car “en France, l’immobilité est très importante, donc la hiérarchie se reproduit de génération en génération” explique Nicolas Frémeaux. L'héritage “porte en lui le risque d’un dérèglement profond de l’égalité des chances” assure dans son rapport le Conseil d’Analyse Économique. La succession rejoint donc une question de justice sociale. “S’il n’y avait pas d’héritage, la hiérarchie des salaires se refléterait dans le patrimoine. Les gens les mieux rémunérés seraient aussi les plus riches. Or depuis les années 1970, la corrélation entre les revenus et le patrimoine a tendance à baisser” complète Nicolas Frémeaux.
Un problème à double lame selon certains rapports, car les droits de succession ne sont pas aussi bien suivis selon la taille du patrimoine. La taxe française est ainsi faite qu’après les 100 000 euros d’abattement, votre taux de droit de succession à payer est progressif, allant de 5% de taxes jusqu’à 45% pour ceux qui héritent de plus de 1,8 millions d’euros de leurs parents. “Sauf que dans les faits, personne n’atteint ce taux de 45%, car vous avez de nombreux moyens pour déduire des sommes” regrette Nicolas Frémeaux. Ce sont les fameuses niches fiscales liées à l'héritage que le candidat écologiste, Yannick Jadot, veut “passer en revue” afin de faire un bilan et d’en supprimer certaines.
50% des Français héritent de moins de 70.000 euros
“Le Conseil d’Analyse Économique a montré que pour les 0,1% des héritiers, c'est-à-dire ceux qui vont toucher en moyenne 13 millions d’euros, le taux effectif payé est en moyenne 10%... On est donc assez loin des 45%”. C’est qui est aussi important de comprendre, c’est qu'une très grande majorité de français ne payent aucun droit de succession dans leur vie. Deux chiffres pour l’illustrer : selon le Conseil d’Analyse Économique, 50% des Français héritent de moins de 70.000 euros et ne sont donc pas sous le coup de la taxe, et en France 10% des gens reçoivent 60% des héritages.
Un constat qui amène à la conclusion suivante : il faut repenser l’héritage. Conclusion qui amène une question : comment repenser l’héritage ? Il y a d’abord la question économique, qui ne manque pas de faire débat. “Si on veut réduire les inégalités d’héritage, le principal levier, c’est d’augmenter la progressivité de l’impôt sur les successions et de continuer à protéger les petites et les moyennes successions, voire d’augmenter les abattements comme le propose Valérie Pécresse” estime Nicolas Frémeaux. “Il y aussi la question de niches fiscales qui ne sont pas toutes justifiées, mais qui sont très peu évaluées. Il y a donc beaucoup de justifications économiques qui restent théoriques et qui n’ont jamais été évaluées”.
Les droits de succession sont un impôt idéologique
Sur un bord plus libéral, Olivier Bertaux, fiscaliste pour l'association Contribuables Associés dénonce “un impôt idéologique”. “Ce n’est pas parce qu’on est riche que l’on doit vous prendre 45% de votre patrimoine” plaide-t-il, “sinon cela devient de la spoliation”. Certains militent donc pour un abandon pur et simple des droits de succession, qui permettrait alors d’hériter sans aucune taxe.
“Il faut aussi considérer le patrimoine au niveau de la famille et non du simple individu” assure Olivier Bertaux. “Lorsqu’on transmet son patrimoine à ses enfants, ou ses petits-enfants, il reste au sein de la famille. Il n’y a donc quasiment pas de changement de propriétaire. Par conséquent, les droits de succession sont un impôt anti-famille”.
Conclusion intéressante qui nous fait sortir de la sphère économique pour gagner une dimension plus sociale et intime. “Dans le rapport que nous avons à l’héritage, se joue le rapport que nous avons à la famille” analyse Mélanie Plouviez, maîtresse de conférences en philosophie à l’université Côte d’Azur, en charge du projet de recherche "Philosophie de l'héritage”. On peut par exemple pointer la différence de traitement entre les héritages directs et les héritages indirects (oncle, tante, frère, soeur, et même beaux-parents ou beaux-fils en cas de famille recomposée).
On privilégie donc “notre forme moderne de famille : la famille conjugale, centrée sur le couple et les enfants. Or, cette famille conjugale n’est pas une forme de famille éternelle. D’ailleurs, antérieurement, elle ne se limitait pas à ce noyau. Par exemple des auteurs du XIXe siècle, comme Émile Durkheim, père de la sociologie de la famille, ont montré que l’institut de l’héritage est une forme ancienne de propriété liée à la famille clanique dans laquelle on met en commun et on possède en commun. C’est cette possession en commun qui va donc fonder l’institution de l'héritage”.
De façon assez contre-intuitive pour nos sociétés modernes, l’héritage peut ainsi être vu comme une institution liée au "communisme familiale”. “Pour Émile Durkheim la transmission successorale est un archaïsme, un vestige inadapté à la famille moderne” expose Mélanie Plouviez.
Globalement, la question de l’héritage a été très présente au XIXe siècle, car la succession pesait alors lourd dans la société française, comme aujourd’hui. Avec une différence cependant, les sujets abordés allaient plus loin qu’aujourd’hui, questionnant même la notion de propriété privée. “Sous la plume de John Locke, un libéral, la propriété privée se fonde sur le travail. C’est le raisonnement suivant : je suis propriétaire de mes facultés, je suis donc propriétaire de ce qui résulte de mes facultés et par conséquent des fruits de mon travail. Dans ce cadre-là, qui est libéral, comment fonder la propriété des choses pour lesquelles je n’ai pas travaillé, mais dont j’hérite ? Ce sont des biens qui ne sont pas issus de mon travail, mais dont j’ai hérité”.
L’analyse de Mélanie Plouviez peut nous rappeler une phrase d’un autre auteur, de la deuxième partie du XVIIIe siècle cette fois, Beaumarchais qui écrivait dans son Mariage de Figaro : "Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus".
Ce qui est intéressant dans les propositions du XIXe siècle, c’est que l’héritage est perçu comme un outil pour transformer la société
L’idée bien sûr n’est pas de transposer à l’identique des idées du XIXe siècle au XXIe siècle, car la société a changé et que les réalités ont changé. Mais l’objectif est de réfléchir et d’interroger une institution, car Mélanie Plouviez déplore aujourd’hui “un appauvrissement de l’imaginaire politique sur cette question”. L’ultime tabou aujourd’hui : c’est l’abolition pure et simple de l’héritage. Cette alternative était pourtant posée il y a deux siècles. “Par exemple, chez Mikhaïl Bakounine, l’abolition de l’héritage doit fonder un droit social nouveau qui n’existait pas à l’époque : le droit à l’éducation pour tous. Chez Émile Durkheim, l’abolition de l’héritage doit permettre de fonder une démocratisation de la vie économique avec un pouvoir de participation des travailleurs. Ce qui est intéressant dans les propositions du XIXe siècle, c’est que l’héritage est perçu comme un outil pour transformer la société” conclut Mélanie Plouviez.
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