âIl y a des cris qu’on hésite à relayer par les temps qui sont les notres. On hésite car on a trop conscience de la détresse dans laquelle beaucoup de ceux qui nous écoutent se trouvent pour pouvoir accueillir plus de souffrance. Oui il y a un moment où « trop c’est trop ». Alors, on préfère se taire, ne pas ajouter l’annonce du malheur à un malheur déjà présent.
On préfère taire le drame qui se joue car, n’est-ce pas, n’en avons-nous déjà pas suffisamment à porter ? Tout cela est vrai : dans un monde sans Dieu, ce raisonnement serait justifié s’il fallait parler à des hommes et des femmes sans foi ni espérance. Oui, comment faire entendre le malheur d’autrui à celui qui ne parvient pas à s’intéresser à autre chose qu’à lui-même ? Et c’est bien pour cela que j’ose en parler ici sur cette antenne : parce que je sais que ceux qui écoutent accepteront que leur cœur s’élargisse au-delà de leurs justes inquiétudes. Vous savez, vous qui écoutez, que, quelle que soit la légitimité de votre angoisse, et peut être de votre douleur, il y a de la place aussi pour accueillir la douleur des autres. Et que cette place, elle est le fruit de notre foi : nous croyons en un Dieu qui se charge de nos souffrances, et qui nous assure qu’il est présent à nos côtés non pas pour supprimer ces épreuves mais pour les traverser avec nous.
Alors voilà ce qu’il nous faut, aussi, entendre, en ce jour : il y a à Lesbos, en Grèce, dans le camp de Moria, des dizaines de milliers de réfugiés. Ils viennent notamment de ces camps en Turquie dont on les a fait partir avec cynisme et cruauté il y a quelques semaines, avant que tout ne se ferme. Ils sont sur une île, dans un des pays les plus souffrants de notre continent. Mais ils n’y peuvent rien, eux, ils sont là parce qu’on les y a transportés, envoyés, renvoyés.Et ils vont mourir si rien ne se passe. Tout autour d’eux s’est barricadé. Les ONG ne sont plus autorisées à les secourir, plus aucun Etat ne veut entendre parler d’eux. Ils sont seuls : sans vivre, sans sanitaire, sans soin, et surtout sans amitié. Ils sont seuls, à l’exception de quelques volontaires, chrétiens ou pas, qui les accompagnent, prisonniers volontaires, attendant l’arrivée imminente de l’épidémie. Et advienne que pourra.
Pourquoi en parler alors ? On ne mesure pas les souffrances. La douleur, lorsqu’elle est ressentie, n’est jamais comparable avec celle d’autrui. Mais le chrétien sait bien que, quelle que soit les difficultés qu’il traverse, rien ne saurait justifier de le rendre sourd et sans compassion au cri de son frère. Le bon samaritain de l’Evangile était peut être lui-même malade, il portait certainement ses soucis et ses angoisses tout en cheminant de Jérusalem à Jéricho. Et pourtant, il s’est arrêté, il a pris le poids de celui qui était blessé. Il n’était pas nécessairement riche et il a pourtant payé de sa bourse les soins pour son frère moribond. Il avait peut être le sentiment d’être supérieur ou mis en danger par le peuple auquel appartenait l’homme ramassé sur la route mais il s’est quand même occupé de lui. En ces jours saints, nous voyons le Christ laver le pieds de Judas, nous le verrons aussi mourir pour nous et descendre aux enfers chercher ceux qui étaient étouffés dans la mort. Si nous voulons le suivre, demandons-lui de nous rendre capable de ne pas choisir ceux dont nous devons nos occuper et d’accepter d’entrer avec lui là où sont nos peurs, car, éclairés par sa lumière, nous savons que nous ne risquons rien. Nous ne trouverons jamais le salut si nous le cherchons d’abord pour nous-mêmes.
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