De nombreuses initiatives naissent dans les communautés catholiques comme des réponses à des besoins de notre temps. Pauline Gourrin les observe depuis l’EcclesiaLab, le nouveau laboratoire de recherche sur l’innovation ecclésiale rattachée à la faculté de théologie de l’Université Catholique de Louvain. Pourquoi cet observatoire souhaite-t’il faire mieux dialoguer les mondes universitaires et ecclésiaux ? Qu’est-ce que la nouvelle cartographie des lieux ecclésiaux innovants et inspirants ? Elle est interrogée au micro de Jacques Galloy.
L'EcclesiaLab est une structure quelque peu hybride qui vise à réunir des acteurs qui, habituellement, ne collaborent pas ensemble. C'est à la fois une entité universitaire et ecclésiale. Ses fondements reposent sur ces deux piliers essentiels, permettant d'allier des universitaires, des théologiens de diverses disciplines, et des personnes engagées dans des projets concrets au sein des diocèses. En outre, l’EcclesiaLab est directement en contact avec des responsables de l’Eglise catholique, tels que des évêques ou des vicaires généraux. Le rôle de Pauline Gourrin consiste justement à œuvrer au cœur de cette triangulation entre ces trois catégories d'acteurs.
L'Ecclesia Lab est le fruit de l'intuition de deux hommes : le professeur Arnaud Join-Lambert, théologien à Louvain-la-Neuve, et Michel Rebours, un laïc français missionné par le diocèse de Beauvais et travaillant avec la province ecclésiastique de Reims. Suite à leur collaboration sur plusieurs questions, notamment sur l'innovation, ils ont réalisé la complémentarité fructueuse entre une expertise universitaire et une expertise pratique du terrain. De cette intuition est née la volonté de créer une structure soutenant la transformation de l'Église.
L'EcclesiaLab est encore en phase de fondation au terme de sa première année d’existence. A ce stade, et même si la question est débattue en interne, c'est avant tout une initiative catholique, mais nous nous laissons largement inspirer par ce que vivent les frères chrétiens, notamment les protestants. Ils gardent un regard ouvert sur l'Église dans son ensemble.
Pauline Gourrin explique une des dernières innovations : « Récemment, par exemple, nous avons lancé une cartographie répertoriant divers lieux innovants et inspirants au sein de l'Église. Ces endroits englobent un large éventail de lieux comme un bar initié par un prêtre à Nîmes, un jardin partagé ouvert par une paroisse ou encore une maison des familles lancée par un diocèse cherchant à s'ouvrir aux familles de la ville ou du département. Il s'agit véritablement de lieux diversifiés couvrant de nombreuses thématiques, ce qui est très stimulant. »
L'EcclesiaLab a lancé cette première cartographie le dimanche 1er octobre, fête de sainte Thérèse de Lisieux, patronne des missions. Cet outil gratuit et participatif vise à faciliter la découverte, l'inspiration et la connexion des lieux innovants dans l'Église. Accessible depuis le 1er octobre via le site https://carte.ecclesialab.org/, la cartographie rassemble plus de 200 lieux novateurs répartis dans l'Église, situés en Europe francophone (France, Belgique, Suisse, Luxembourg) et au Québec. Ces endroits varient délibérément par leurs domaines d'intervention (jeunesse, famille, écologie, art, tourisme, interreligieux, ruralité...), leurs acteurs impliqués (diocèses, communautés religieuses, paroisses, initiatives individuelles...), et leurs lieux d'établissement.
Parmi les lieux répertoriés, on trouve plus de 60 habitats partagés, environ une trentaine de bars ou cafés tels que le Bar du Curé à Bayonne, le Simone à Lyon ou le Blackfriars à Louvain-la-Neuve, une dizaine de lieux de coworking comme le Centre Ora et Labora à Maison-Lafitte ou Le Senevé à Grenoble, une trentaine de jardins partagés à divers endroits comme au Havre, à Dourgne, à Tourcoing ou à Draguignan, et une grande variété de "maisons d'Église". Il y a aussi de nombreux lieux en Belgique : La Pastomobile à Beaumont, Le Café nomade et la Communion de la Viale Europe à Ixelles, les Fraternités du Bon Pasteur à Bruxelles, le béguinage de Cornillon et la Communauté de Sainte Walburge dite La Vieille Voie à Liège, et bien d’autres.
Le champ d'action concerne l'Occident francophone, englobant tous les pays d'Europe francophone, y compris le Québec. Au sein de l’équipe de l'EcclesiaLab, il y a des membres issus de ces divers pays. Le réseau compte des référents diocésains dans chacun de ces pays. Pauline poursuit : « Nous avons réalisé qu'il était crucial d'avoir cette diversité, car les réalités ecclésiales varient considérablement d'un pays à l'autre. Par exemple, en Belgique, un aspect marquant de l'innovation ecclésiale réside dans l'importance des habitats groupés chrétiens. Ainsi, l'année dernière, nous avons organisé une journée spécifique sur ces habitats groupés chrétiens en collaboration avec le vicariat du Brabant Wallon. Nous avons accueilli des participants de France et d'ailleurs, surpris par le degré de développement de ces habitats groupés chrétiens en Belgique. »
Concernant la France, Pauline explique : « Ce qui m'a particulièrement marqué en France, c'est la diversité des projets. Nous constatons à la fois des initiatives qui naissent de façon très personnelle ainsi que des projets d'envergure parfois intimidants pour ceux désirant se lancer, en raison de leurs coûts élevés. Par ailleurs, il est intéressant de noter la variabilité de l'engagement des diocèses : certains sont pleinement impliqués dans les projets dès leur genèse, tandis que d'autres interviennent plus tard. Malgré les différentes approches, il est clair que les diocèses apportent un soutien, d'une manière ou d'une autre, à ces initiatives. »
Un grand nombre de diocèses sont actuellement confrontés à des défis immobiliers. Ils se retrouvent souvent avec des bâtiments ou des terres sans orientation précise. Une partie des initiatives naissent de cette réalité. D'autre part, les diocèses recherchent des lieux favorisant une présence aux périphéries, pour toucher ceux éloignés de la foi ou de l'Église. Ces personnes ne fréquentent pas nécessairement les églises paroissiales, si ce n'est pour si ce n'est pour les baptêmes, les enterrements et les mariages. L’EcclesiaLab observe une espèce d'intuition portée par un certain nombre d'acteurs, qui ne sont pas nécessairement les évêques en tant que tels, mais de nouvelles initiatives créant du lien avec la société.
En ce qui concerne les initiatives personnelles, la diversité est flagrante. Ce qui ressort particulièrement est que ces lieux innovants, inspirants, créés par des individus ou des couples, découlent souvent d'une trajectoire personnelle. C'est à la suite d'expériences vécues, parfois douloureuses, parfois de questionnements, que ces personnes ont été amenées à créer ces lieux. Souvent, cela résulte de plusieurs années de réflexion ou de circonstances favorables qui ont conduit à la concrétisation de ces projets.
Pauline Gourrin raconte : « Je peux vous donner un exemple qui me vient à l'esprit. J'ai rencontré un couple qui était étroitement lié à une congrégation religieuse depuis plusieurs années. L'un d'entre eux avait suivi des études pour devenir jardinier. Par hasard, la congrégation s'est retrouvée avec un terrain disponible, et cette personne a alors offert ses services pour créer un jardin partagé ouvert au quartier. C'est souvent le résultat d'une convergence d'éléments et de circonstances qui permet la concrétisation d'un tel projet. Il s’agit aussi de définir ce qui est qualifiable d’ecclésial. Après tout, un jardin partagé est un concept plutôt vaste. En fait, nous nous posons cette question lors de la cartographie de ces lieux. C'est un enjeu de définir ce qui rend ces endroits ecclésiaux ou non."
Elle poursuite: "C'est là que nos théologiens au sein de l'équipe interviennent. Ils travaillent ardemment pour comprendre la nature spécifique de l'innovation au sein de l'Église. Souvent, dans ces lieux, comme dans le cas d'un jardin partagé, cela peut être le fait qu'il soit situé dans une congrégation religieuse, ou dans le jardin d'une paroisse. Cela mène nécessairement, à un moment donné, à des discussions plutôt spirituelles ou non, mais liées à la paroisse, à ce qui se vit ici. C'est, en quelque sorte, un travail de pastorale du contact. En étant en contact avec ces personnes, elles finissent par se poser des questions et souhaitent en savoir davantage. »
Pour réfléchir à la qualification de ce qui est qualifiable d’ecclésial, l’équipe de l’EcclesiaLab peut maintenant compet sur Rick Van Lier, coordinateur scientifique et docteur en ecclésiologie.
Pauline partage son expérience d'organisation de visites thématiques, dites "visitations", et notamment sa visite à Lyon. Cette initiative a été inspirée par un membre de l'EcclesiaLab, souhaitant explorer différents lieux pour s'inspirer avant une nouvelle mission. L'objectif est d'offrir aux participants une série de visites de lieux très variés, anciens et nouveaux, paroissiaux et non paroissiaux, avec des moments de relecture théologique pour favoriser une réflexion approfondie.
À Lyon, les participants ont visité des endroits divers comme le Café Simone, un lieu associé à la doctrine sociale de l'Église. Ce café a été créé par des jeunes étudiants en philosophie qui souhaitaient concilier leur foi et leurs études. C'était également un lieu de conférences, ateliers et de prière.
Ils ont également visité la Paroisse Sainte Blandine, une communauté attentive à ceux éloignés de l'Église, avec des liturgies parfois renouvelées et une attention particulière à l'accueil. La paroisse comprend aussi des initiatives autour de la formation des jeunes dans les métiers de la communication et de la musique, ainsi que la Maison Familia, centrée sur les réalités familiales.
Par le passé, le groupe de musique Glorious a animé des liturgies à la Paroisse Sainte Blandine, mais cela a évolué vers des participations plus épisodiques pour éviter d'associer l'église exclusivement à un seul groupe.
Pauline Gourrin, coordinatrice de l’EcclesiaLab, décrit l'utilisation du radar ecclésiologique, un outil visant à analyser ce que représente un lieu pour l'Église. Elle raconte un atelier où ce radar a été appliqué à un foyer étudiant situé dans un ancien bâtiment religieux, avec une orientation œcuménique et des intentions d'ouverture. L'atelier a généré des débats et des discussions entre les participants concernant des thèmes tels que la formation, la coresponsabilité des membres du lieu, offrant une approche détaillée du lieu visité.
Concernant la contribution de l’EcclesiaLab à ceux qui souhaitent participer à l'Église de demain, Pauline suggère, avant toute chose, de confier ces désirs de changement à la prière et la volonté de Dieu. Elle souligne que les initiatives ou projets d'innovation devraient être alignés avec la volonté de Dieu, évitant aux initiateurs de s'épuiser sur des projets qui ne sont pas les leurs. En ce qui concerne les contributions spécifiques de l’EcclesiaLab, Pauline mentionne plusieurs aspects :
D’abord, la consultation de la cartographie récemment sortie pour découvrir des lieux chrétiens et entrer en contact avec ces endroits. Ensuite, la participation aux circuits de visitation organisés par l’EcclesiaLab, permettant de visiter différents lieux pour mieux comprendre leur fonctionnement. La future sortie de publications académiques fournissant des outils et des articles concrets basés sur une théologie solide pour comprendre les enjeux de l'innovation dans l'Église. Enfin, l'organisation d'événements sur des thèmes spécifiques, tels que les habitats groupés chrétiens, les cafés chrétiens, offrant ainsi des opportunités de partage et de réflexion.
Lorsque Pauline Gourrin évoque son enfance, elle évoque plusieurs expériences qui lui ont laissé cette impression d'être coincée entre deux mondes, nécessitant de construire des passerelles entre des réalités très distinctes. Un souvenir lui revient souvent ces derniers temps. « C'était lors d'une fête d'anniversaire chez mes parents où j'avais invité des amis de mon école. Je me souviens avoir demandé de dissimuler la statue du Sacré-Cœur qui trônait dans notre salon. En y repensant, je réalise que j'étais partagée entre ma foi, nourrie par une prière personnelle profonde et des moments de ressourcement à Paris ou à Paray-le-Monial, et d'un autre côté, un quotidien au contact de personnes éloignées de la foi et de l'Église. C'était un contraste saisissant. Ce souvenir m'a influencé et a alimenté ma volonté, depuis mon enfance jusqu'à aujourd'hui, de tisser des liens entre des mondes qui semblent parfois éloignés l'un de l'autre. »
Une personne qui l'inspire beaucoup, ce n'est pas la figure « la plus girly » de l'Église, mais c'est Edith Stein. Elle la trouve remarquable pour plusieurs raisons. Tout d'abord, en tant que femme, elle a profondément réfléchi sur la féminité, explorant le sens de la liberté et de la force féminines. Edith Stein était également une intellectuelle de haut niveau, mettant son intelligence au service des autres, de la société et de la théologie. Elle était aussi animée par un fort désir spirituel, exprimé notamment dans sa conversion après avoir lu une biographie de Sainte Thérèse d'Avila. De plus, elle attachait une grande importance à l'enseignement. Pour elle, cette capacité de transmettre des connaissances est essentielle. Enfin, Edith Stein était une femme juive, et ce lien avec le judaïsme touche profondément elle, sans qu'elle sache exactement pourquoi. Pauline Gourrin a conscience que le judaïsme revient souvent dans les figures qui la marquent, à la fois culturellement et théologiquement. Reconnaître l'importance de cette proximité avec les frères juifs dans la foi est quelque chose de primordial pour elle.
Elle évoque également un film qui lui procure beaucoup de joie, "La Gloire de mon Père", inspiré du roman de Marcel Pagnol. Ce film lumineux, avec des décors colorés, des personnages attachants et une histoire joyeuse, évoque pour elle un sentiment de voyage, malgré son contexte français. Elle apprécie les passages filmés dans les paysages de Provence, capturant des lumières et des couleurs incroyables. Sensible à l'habillement, elle trouve que les vêtements ne sont pas seulement des vêtements, mais qu'ils s'intègrent dans un univers et peuvent révéler des aspects de la personnalité.
Un livre qui la touche est "Cyrano de Bergerac" d'Edmond Rostand. Elle apprécie les portraits des personnages et l'aspect quotidien des histoires, se démarquant des blockbusters américains. Ce livre l'a accompagnée pendant les premières semaines du premier confinement, apportant une touche de joie et de lumière à cette période. Elle aime également le théâtre et est marquée par la vérité de l'amour présentée dans "Cyrano de Bergerac". Elle apprécie les répliques mémorables, notamment celles de la dernière scène où la mort de Cyrano révèle un amour jamais avoué.
En ce qui concerne un lieu où elle se sentirait bien, elle évoque l'Italie, et plus précisément la Villa d'Este, au nord-est de Rome. Ce lieu particulier, empreint de calme, est entouré de magnifiques jardins descendus en escalier avec des labyrinthes et des fontaines. Chaque visite ravive en elle une surprise pour la beauté du lieu.
Pauline est profondément marquée par le Psaume 62, qu'elle a découvert dans des moments clés de sa vie, que ce soit dans un champ qu'elle affectionnait, ou dans une vidéo du groupe Glorious qu'elle a regardée à plusieurs reprises. Cette prise de conscience lui a laissé une forte impression. Depuis, elle prend plaisir à relire régulièrement ce psaume, car elle est frappée par sa capacité à toucher des aspects clés de sa vie et à ouvrir de nouveaux chemins pour elle. Pauline reconnaît qu'elle prie avec ce psaume au moins une fois par mois, et elle le trouve particulièrement réconfortant dans les moments difficiles, lui permettant de retrouver un équilibre et une perspective.
Nul doute que Pauline Gourrin ne perd pas le nord grâce à cette cartographie originale de l’EcclesiaLab.
Contact: https://ecclesialab.org/
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