À l’occasion des élections européennes du 9 juin prochain, RCF vous propose une série de dossiers afin d’éclairer les enjeux internes de différents pays de l’Union européenne. Cette semaine : l’Espagne.
En Espagne, à moins d’un mois des élections européennes, la campagne électorale n’a pas encore commencé. Les Espagnols avaient jusque-là la tête aux élections régionales, les dernières en date celles en Catalogne dimanche 12 mai, mais aussi aux coups d’éclats politiques, comme la mise en retrait pendant 5 jours du premier ministre en avril. La vie politique est donc très mouvementée mais les enjeux européens passent au second plan
"La campagne des Européennes va commencer cette semaine de façon sérieuse" assure le journaliste Juan José Dorado, correspondant à Paris pour le groupe de médias espagnols groupe média espagnol La Region. Actuellement, "la tête de liste du Parti socialiste n’a pas encore été nommée officiellement", rappelle-t-il. Jusqu’ici, les Espagnols et les partis politiques avaient surtout la tête aux élections catalanes. Des élections remportées par le Parti socialiste catalan, mené par Salvador Illa (l’ancien ministre de la Santé de Pedro Sanchez). Ces élections représentent une victoire pour le Premier ministre qui s'est investi personnellement dans la campagne, mais le résultat ne doit pas être extrapolé aux élections européennes. Selon les sondages, c’est le Parti Populaire (politiquement à droite) qui devrait l’emporter avec environ 35 % des intentions de vote.
Mais la Catalogne et l’indépendantisme devraient être parmi les sujets centraux de cette élection. La loi d'amnistie, un gage donné aux partis indépendantistes catalans en échange de leur soutien au parlement national, sera examinée par les députés le 30 mai, soit 10 jours avant les élections européennes. Cette loi, qui permettrait de stopper les procédures judiciaires contre les responsables du processus d’indépendance de la Catalogne de 2017, provoque la polémique. "Certains euros parlementaires espagnols [de droite] ont saisi le Parlement européen pour dénoncer cet avant-projet de loi. D’ailleurs, un des commissaires européens avait demandé au gouvernement espagnol des informations sur cet avant-projet de loi. Le Parlement européen aura certainement son mot à dire pour voir si cette loi ne va pas à l’encontre des dispositions européennes. Donc cette loi aura un rôle important dans la campagne pour les Européennes dans les prochaines semaines, mais aussi pour le Parlement européen dans les prochains mois" explique Juan José Dorado.
Mais dans cette vie politique mouvementée, la polémique prend souvent le pas sur les débats d’idées comme l’observe Jean-Jacques Kourliandsky chercheur à l’Iris et à la fondation Jean Jaurès, spécialiste des questions ibériques. "Ces derniers mois, l’extrême droite mais aussi la droite a manifesté devant le siège du parti socialiste espagnol avec une grosse poupée gonflable représentant Pedro Sanchez et les participants étaient invités à y tapper dessus, ce qui est pas exactement un débat comme on peut le concevoir en démocratie, décrit-il, on est vraiment dans un niveau zéro du débat politique avec une polarisation sur les personnes qui va probablement mobiliser les électeurs parce que ça devient un peu quelque chose de passionnel comme les pro et anti Trump aux Etats-Unis et les débats de fond malheureusement vont passer dans les tiroirs." Cette personnalisation se centre surtout sur la figure du Premier ministre socialiste Pedro Sanchez. En avril, l’Espagne a vécu une situation inédite avec la mise en retrait de ce dernier pendant cinq jours où il a annulé tout son agenda public afin de réfléchir à une possible démission. Il a finalement décidé de rester mais cette élection prendra donc une forme de test électoral pour lui alors même que le parti socialiste n’est pas la première force politique du parlement et qu’il gouverne grâce à une coalition.
Le contexte n’est pas propice au débat lié à la campagne européenne.
Et les premiers actes de campagne des partis d’opposition seront dirigés contre Pedro Sanchez comme l'analyse Jean-Jacques Kourliandsky : "Le parti populaire va consacrer son premier acte politique à une manifestation de rue contre le président du gouvernement en début de campagne électorale. Et le parti d’extrême droite Vox a invité pour son premier meeting le président du gouvernement argentin qui actuellement est en froid avec Pedro Sanchez auquel il a reproché non pas son attitude anti ou pro européenne mais d’être contre l’unité nationale espagnole, contre la sécurité des femmes dans la mesure où il ouvrirait le pays aux migrants, alors vous verrez que le contexte n’est pas propice au débat lié à la campagne européenne.”
En-dehors du vote pro ou anti Sanchez, certains thèmes seront tout de même importants lors de ces élections "l’Espagne a toujours travaillé sur des dossiers très spécifiques comme les mesures écologiques et aussi tout ce qui tourne autour de l’immigration, et lors de la présidence espagnole de l’Union européenne [du 1er juillet au 31 décembre 2023], on a avancé sur ces deux dossiers. Mais c'est vrai qu’il y aura toujours des enjeux nationaux qui vont venir se mêler à cette campagne européenne", décrypte Juan José Dorado.
Et pourtant, le sentiment européen est important en Espagne comme le rappelle Jean-Jacques Kourliandsky "Dans un sondage plus de 70 % des interrogés ont répondu se sentir européen, mais à la question Est-ce que vous allez définir votre vote le 9 juin en fonction d’enjeux européens ou d’enjeux nationaux ? La majorité a répondu : enjeux nationaux."
Alors que l’extrême droite devrait progresser largement dans le Parlement européen, sa croissance est relativement contenue en Espagne. Le parti Vox récolte pour le moment 12 % des intentions de vote. Pour Tamara Espiñeira (enseignante à Sciences Po Rennes et membre de Team Europe direct, un réseau de conférenciers experts de la Commission européenne) "aujourd’hui on peut parler de toit électoral de Vox" notamment parce que "le Parti Populaire a su attirer les électeurs les plus modérés."
Juan José Dorado rappelle que l'extrême droite est apparue en Espagne qu’après 2016, "l’arrivée de l’extrême droite est arrivée avec le mouvement d’indépendance de la Catalogne et le sentiment de rejet de cette indépendance." Avant d’ajouter : "l’Espagne est un pays qui n’est pas spécialement d’extrême droite elle existe mais l’Espagne reste vaccinée contre l’extrême droite."
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