La majorité des personnes mal-entendantes sont au chômage dans le Grand Est. La Maison des Sourds du Haut Rhin pointe du doigt le manque d’accessibilité.
Difficile d’obtenir des chiffres précis. Selon la fondation pour l’audition, entre 100 000 et 300 000 personnes sont malentendantes ou sourdes en France, dont une concentration importante se situe en Grand Est, du fait de l’attraction des métropoles de Nancy ou de Strasbourg. Pour autant, elles ne sont pas toutes employées aujourd’hui dans les 7000 entreprises officiellement tenues de les embaucher en Grand Est.
“Malheureusement la majorité des personnes sourdes sont au chômage parce qu'il y a un manque d'accessibilité flagrant”, d’après Romuald Ntounta, président de la Maison des Sourds du 68, également directeur du centre de formation Com’ Signes en France et en Grand Est.
Parmi les raisons de ce triste constat, Romuald Ntounta estime que “très peu de chefs d'entreprise signent.” Or, faire appel à des interprètes ou apprendre la langue des signes française (LSF) représentent des charges supplémentaires qu’ils ne sont pas toujours prêts à assumer, d’autant que les interprètes se font de plus en plus rares sur le marché. “C'est assez compliqué de rendre accessible un emploi parce qu’apprendre la langue des signes prend du temps. Or, c’est une condition essentielle pour avoir l'accessibilité dans l'entreprise.”
Autre difficulté : la part de télétravail en hausse dans les offres d’emploi. Cet aspect quasiment généralisé depuis l’expérience du confinement représente un véritable frein pour les chercheurs d’emploi sourds. “Les sourds ont besoin de rencontrer et de discuter vraiment en face à face avec les collègues. Ils ont vraiment besoin de voir le visage de la personne quand ils communiquent avec quelqu'un pour pouvoir lire sur les lèvres par exemple. Autrement, ils sont exclus des conversations et manquent des informations importantes, relève Roumald Ntounta.
Si officiellement, aucun poste n’est interdit aux personnes malentendantes ou sourdes, dans les faits, ceux en responsabilité leur sont fréquemment inaccessibles. “Si une personne sourde est responsable de service, il faudrait que les collègues ou les subordonnés soient connaisseurs de la langue des signes ou que l'entreprise accepte de faire venir un interprète. Une condition qui engendre des frais supplémentaires et c'est pour cela que l'entreprise parfois refuse de le faire, analyse Romuald Ntounta. Or, il y a des moyens, il suffit de le vouloir. ” La Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) est d'ailleurs un bon relai pour indiquer des solutions.
Les moyens existent pour embaucher une personne sourde, il suffit de le vouloir.
Si l’apprentissage de la LSF dans une structure employant une personne malentendante ou sourde n’est pas proposé systématiquement par les employeurs, la demande émane souvent des employés eux-mêmes.
“Souvent, les collègues entendants qui travaillent avec la personne sourde nous contactent parce que parfois les collègues référents en ont un petit peu marre. Le collègue sourd les appelle en effet toujours parce qu'il est assez isolé. Les autres collègues décident alors d'apprendre la langue des signes ou de faire une sensibilisation pour que d'autres collègues soient à l'écoute du personnel sourd. Mais c'est quand même assez rare que les personnes sourdes se dirigent directement vers leur employeur pour demander une sensibilisation.”
Alors que 2025 marque le 20e anniversaire de la loi sur le handicap, Com’Signe a enregistré près de nouvelles 500 inscriptions dans un de leurs 7 centres de formation en France lors de la dernière rentrée. Soit un peu moins qu’il y a quelques années.
Une situation liée aux distances entre les différents lieux de formations, mais surtout au contexte économique tendu. “Beaucoup de personnes utilisent leur compte personnel de formation (CPF) pour s'inscrire à nos formations puisque leurs employeurs sont assez réticents à la leur payer. C’est dommage.”
Même souci du côté de France Travail. “La langue des signes pourrait être utilisée pour un futur métier, par exemple pour une personne qui est en recherche d'emploi, mais l’agence décourage les chercheurs d’emploi à se lancer de ce côté-là en leur disant leur dit qu'il n'y aura pas forcément de travail, déplore le directeur. Il y a plein de métiers en lien avec la langue des signes qui sont possibles. On peut devenir AESH pour enfants sourds par exemple.”
Où en sont les politiques gouvernementales et des collectivités locales à ce niveau ? Si la préfecture du Bas Rhin se targuait de rendre accessible ses services administratifs via une application adaptées pour les malentendants, et que la police municipale de Saint-Quentin, dans l'Aisne, propose un accueil des personnes sourdes et malentendantes depuis 2023, le suivi des politiques d'inclusion ravie au gré des mandats. A Rennes où a été créé le premier centre de Com’ Signes, la Région et France Travail soutenaient l'initiative par des financements importants. Financements abandonnés depuis d’après Romuald Ntounta.
Se profile également la menace du remplacement d’interprète LSF par le recours grandissant et moins coûteux d’avatars conversationnels générés par l'intelligence artificielle. Le directeur de Com' Signes maintient toutefois l’espoir “qu'on continue à utiliser l'être humain et que tout ne soit pas remplacé par l'artificiel. En LSF, on a besoin de concret et d’humain.”
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