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En Italie, la mafia défie toujours l’État
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En Italie, la mafia défie toujours l’État

Un article rédigé par Baptiste Madinier - RCF, le 27 mai 2022  -  Modifié le 27 mai 2022
Le dossier de la rédaction En Italie, la mafia défie toujours l’État

30 ans après la mort du juge Falcone, figure de la lutte anti-mafia, le crime organisé n’a toujours pas disparu du sud de l’Italie. La Ndrangheta, en Calabre et la Sacra corona unita dans les Pouilles sévissent encore aux côtés d’une Cosa Nostra sicilienne et d’une Camorra napolitaine affaiblies par des décennies de répression de la part de l’État italien qui s’est doté d’un arsenal législatif de choc.
 

Piazza del Plebiscito à Naples, en Italie. ©Unsplash Piazza del Plebiscito à Naples, en Italie. ©Unsplash

C’est le 23 mai 1992 que le juge Falcone, sa femme et ses trois gardes du corps sont assassinés lors d’un attentat sur la route de Palerme en Sicile par la mafia locale : Cosa Nostra. Le magistrat sicilien est donc tué par l’organisation qu’il avait tenté d'abattre avec le maxi-procès de Palerme démarré en 1986 et qui aboutira à la condamnation de 360 mafieux.

 

 

Giovanni Falcone fut l’un des instigateurs de ce procès et ses méthodes sonnent la fin de l’impunité pour les mafias. Néanmoins, 30 ans après sa mort, l’Italie n’est pas débarrassée du crime organisé. La Camorra et Cosa Nostra sont affaiblies mais toujours présentes. La Sacra corona unita connaît un regain de violence depuis le début de cette année. Quant à la Ndrangheta, elle est devenue la mafia la plus puissante du pays.

 

Arsenal législatif 

 

Pourtant, depuis les années 1980, l’Italie est devenu un État pionnier de la lutte anti-mafia. “C’est le pays qui a les meilleurs outils juridiques au monde pour lutter contre la mafia” souligne Fabrice Rizzoli, spécialiste des mafias et fondateur et président de l’association Crim’ HALT. L’Italie est d’ailleurs l’unique pays à avoir juridiquement défini le délit d'association mafieuse grâce au député Pio de la Torre. Cette loi est adoptée en 1982, quelques mois après son assassinat par la mafia. Elle permet aussi de frapper les organisations criminelles au portefeuille en confisquant des biens aux mafieux et à leur complice. Un arsenal qui permettra au juge Falcone de mener à bien son combat quelques années plus tard.

 

Deuxième depuis la gauche, le juge italien Giovanni Falcone a été tué le 23 mai 1992. / AFP PHOTO GERARD FOUET

 

Après le maxi-procès, une autre loi clé est adoptée en 1996 : la loi d’usage sociale des biens confisqués. “Les biens qui appartenaient aux mafieux deviennent le bien commun de tous, propriété de l’État” résume Fabrice Rizzoli. Ils sont ensuite redistribués à des associations. “Cela permet de changer les mentalités”.

 

L’objectif est de “couper les ailes de la mafia en supplantant la culture mafieuse par une culture de la légalité” explique Charlotte Moge, maîtresse de conférence en étude italienne à l’université Lyon 3. "Concrètement, cela signifie qu’il y a des coopératives agricoles qui sont nées sur des terrains confisqués aux boss mafieux. Par exemple dans les vignes qui appartenaient à Giovanni Brusca - l’homme qui a appuyé sur le détonateur qui fait sauter la bombe de l’autoroute et tué le juge Falcone - aujourd’hui, on produit du vin qui se nomme Les Saveurs de la Légalité. C’est une marque commercialisée dans tout le pays.”

 

 

Il y a un système très fort de réappropriation du territoire 

 

 

Derrière cet exemple, c'est un phénomène de reconquête territoriale qui s’illustre. Il ne faut pas dissocier les mafias d’une dimension de souveraineté territoriale qui est la clé de leur puissance. Au-delà du symbole, cet usage des biens confisqués permet de créer une économie vertueuse. “On va donner du travail à des jeunes dans des régions où le taux de chômage est ahurissant” développe Charlotte Moge. “Cela montre qu’on peut faire un travail libre et exempt de tout lien avec la mafia sur un territoire pourtant gangrené par les mafias”. “Imaginez que dans une ancienne maison de chefs mafieux, on peut avoir des associations d’aide aux devoirs, de soutien aux handicapés voir même des casernes de carabiniers” complète Fabrice Rizzoli. “C’est donc un système très fort de réappropriation du territoire” conclut Charlotte Moge.

 

Adaptation économique 

 

Pour autant, les mafias n’ont pas disparu en Italie. La Sacra corona unita sévit toujours dans les Pouilles. Cosa Nostra, en Sicile, et La Camorra, en Campanie, autour de Naples, n’ont plus la puissance d'autrefois mais existent encore. Elles ont été remplacées par la Ndrangheta, basée en Calabre, dans la pointe de la botte italienne. “Elle a profité de la focalisation médiatique et judiciaire sur les autres mafias, notamment Cosa Nostra, pour s’étendre et se renforcer dans les années 1990” expose Charlotte Moge.

 

La mort du juge Falcone marque le début d’une forte répression contre la mafia sicilienne auquel va s’ajouter le phénomène des repentis, c'est-à-dire de la collaboration de certains mafieux arrêtés. “Le fait que des mafieux rompent l’omerta va décrédibiliser Cosa Nostra sur le plan international, notamment dans ses relations avec les narco-trafiquants. C’est à ce moment-là que la Ndrangheta a commencé à tisser ses propres liens en grandissant dans l’ombre. Sans bruit et sans homicide éclatant".

 

 

Le lien avec l'économie légale pour blanchir l'argent c'est dans l'ADN de la mafia 

 

 

“Elle a réduit son nombre d’homicides au minimum vital pour une organisation criminelle” abonde Fabrice Rizzoli. Le pouvoir d’une mafia reste fondé sur la violence, mais “ils utilisent aujourd’hui des manières beaucoup plus graduées afin d’éviter l’homicide”. La criminalité mafieuse n’a pas disparu, mais a donc diminué pour le bien des affaires. Une tactique de survie pour ces organisations criminelles. Grâce à cette politique, la Ndrangheta est maintenant devenue l’un des leaders de la cocaïne en Europe.

 

La drogue reste une source de revenus importante dans le modèle économique des mafias. On peut ajouter les machines à sous ou le racket. Ce qui est intéressant, c’est que le système de fond est resté le même. “Il s'agit de s'enrichir par l’activité illégale et surtout de blanchir l’argent dans l’économie légale, car c’est l’ADN de la mafia” précise le président de l’association Crim’ HALT.

 

Cette présence dans l’économie légale est une des clés pour comprendre la résilience des mafias encore aujourd’hui en Italie. Elles savent s’adapter. Au XIXe siècle par exemple, lorsque le citron devient un produit prisé pour soigner le scorbut sur les navires long, cours, la Sicile devient un point de production important. Cosa Nostra, alors à ses balbutiements, s’engouffre dans ce business déjà à base de menaces et de racket.

 

La fin de l'impunité

 

Dans l’histoire des mafias, ce sont ensuite le tourisme, la restauration, l’immobilier ou encore la construction qui deviendront les secteurs classiques pour le blanchiment d’argent. “Aujourd’hui, on se rend compte que les organisations se diversifient beaucoup, en investissant notamment dans le secteur des pharmacies, des pompes funèbres ou encore, de la santé, via par exemple la fourniture de matériel médical ou le traitement des déchets” explique Charlotte Moge.

 

Une plasticité économique qui s’accompagne encore d’un lien avec la politique. Là encore, il s’agit d’un trait d’ADN de la mafia qui rejoint d’ailleurs l’enjeu de souveraineté territoriale. “Encore aujourd’hui nous avons des arrestations régulières de politiciens qui sont complices de la mafia, notamment dans des opérations légales” regrette Fabrice Rizzoli. “Le clan mafieux apporte son aide au moment des élections. Une fois élu, le politicien est donc redevable et rend la monnaie avec des marchés publics par exemple.” La pratique semble appartenir à un autre âge, mais existe encore. Ce qui a changé : c’est l’impunité. “Aujourd’hui, nous avons des procès” se réjouit Fabrice Rizzoli. “Les mafieux et leurs complices, y compris les politiciens, vont en prison !”.

 

Le juge anti-mafia Nicola Gratteri en janvier 2021 / Gianluca CHININEA / AFP

 

30 ans après la mort du juge Falcone, un nouveau maxi-procès est en cours en Calabre, contre la Ndrangheta cette fois. C’est le combat du juge calabrais Nicola Gratteri. En novembre dernier 70 condamnations ont été prononcées et 335 accusés attendent encore leur jugement.

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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