En 1994, le lundi de Pâques était un 4 avril. Dans le monde entier, les chrétiens venaient de célébrer la bonne nouvelle de la résurrection. Mais trois jours plus tard, l’un des pays pourtant les plus pratiquants du monde allait sombrer dans l’horreur. Chauffés à blanc par une propagande haineuse et un plan d’extermination mûrement préparé, de simples paysans se muaient en assassins de celles et ceux qui, hier encore, siégeaient à leurs côtés sur les bancs de l’église. En quelques semaines seulement, le génocide des tutsis du Rwanda a fait 800 000 victimes, dans un pays de 7 millions d’habitants.
Vingt-quatre ans plus tard, le Rwanda n’en finit pas de panser ses plaies. Un peu comme Israël, le pouvoir en place à Kigali bénéficie d’un soutien sans faille d’une communauté internationale rongée par le remords. Hormis les associations de défense des droits de l’homme, il n’est pas grand monde pour condamner le pillage par Kigali des ressources à l’Est du Congo, la répression contre les opposants, le verrouillage des élections et de la presse, ni l’organisation d’un pouvoir à vie par le chef de l’État, Paul Kagame. Bien au contraire, le gouvernement rwandais, qui a certes à son actif des progrès notoires en matière de santé, d’éducation ou de développement économique, est perçu comme un modèle, tant par ses homologues en Afrique que par les bailleurs internationaux, qui y déversent des centaines de millions de dollars d’aide au développement.
La France n’est pas la mieux placée pour tenir un discours de vérité sur le Rwanda. En 1994, le gouvernement français n’a fait seulement preuve d’un aveuglement coupable. Tout laisse à penser qu’en notre nom, il s’est rendu complice du dernier génocide du XXe siècle. En droit, la complicité implique une intentionnalité. On ne prétendra pas, bien sûr, que le président Mitterrand et ses conseillers, dont Hubert Védrine, ont eu l’intention qu’un génocide soit commis. Mais ils ont bien eu la volonté de soutenir et sauver le régime en place, quoi qu’il en coûte. L’analyse qui domine alors chez ces conseillers est assez binaire : l’Afrique francophone est un outil clé de notre influence, il faut à tout prix l’empêcher de basculer dans l’orbite anglophone. Selon ces stratèges, le meilleur rempart contre cette menace – qu’incarne selon eux le FPR, stationné en Ouganda et qui veut reconquérir le pouvoir au Rwanda - est le régime extrémiste hutu en place à Kigali. Cette grille de lecture prévaut non seulement avant le génocide, mais aussi, on le sait maintenant, une fois que le génocide est en train d’être commis. Même l’opération Turquoise, que l’on présenta alors comme une opération humanitaire de la France, avait d’abord pour objectif de sauver le régime génocidaire. C’est ce qui transparaît clairement du témoignage de Guillaume Ancel, ce militaire français qui, après s’être tu pendant vingt ans, a récemment tenu à faire éclater la vérité dans un livre[1].
Mais à Paris, cette vérité ne semble pas encore bonne à dire. La chape de plomb demeure. Pour comprendre précisément ce qui s’est passé, il n’y a d’autre issue que la transparence. Encourager les militaires et les fonctionnaires de l’époque à parler ouvertement. Lever le secret sur toutes les archives, au Rwanda comme en France. Pas seulement celles de l’Elysée, ouvertes en partie par François Hollande, mais aussi toutes celles frappées du secret défense. Et celles de François Mitterrand, dont l’accès est aujourd’hui soumis à l’arbitraire d’une mandataire privée[2].
Ce 7 avril, Emmanuel Macron commémorera le début du génocide des tutsis pour la première fois depuis qu’il est président de la République. Lui qui n’avait que 16 ans quand le génocide fut perpétré, lui qui n’a rien à voir avec cette histoire, a une formidable opportunité, une formidable responsabilité aussi : celle de permettre qu’enfin, la vérité éclate. Aussi terrible soit-elle.
[1] La Fin du silence. Témoignage d’un officier français. (Les Belles Lettres, 2018)
[2] Mme Dominique Bertinotti.
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