Le prix Goncourt 2023 a été décerné à Jean-Baptiste Andrea pour "Veiller sur elle" (éditions L'Iconoclaste). Une reconnaissance critique pour cette histoire d'amour au temps du fascisme en Italie et surtout la promesse de bonnes ventes pour son auteur et son éditeur. Le Goncourt est la récompense littéraire la plus connue en France. Mais ces dernières années le prix a été sous le feu des critiques pour des affaires de conflits d'intérêts, de monopole de certains éditeurs ou encore pour le peu de place accordée aux femmes dans son histoire.
“Le Goncourt on aime l’adorer et on adore le détester” annonce d’emblée Catherine Valenti historienne, co-autrice du livre "120 ans de prix Goncourt. Une histoire littéraire française”. Une ambivalence qui accompagne le prix littéraire depuis 1903, date de sa création et qui s’explique par les polémiques qu'il a pu déclencher.
Parmi les critiques, le règne, dénoncé, de certaines maisons d’édition sur ce prix. “Après la Première Guerre mondiale, des éditeurs ont commencé à dominer ce prix Goncourt, notamment Gallimard, ce qui nourrissait des soupçons de collusions” note Catherine Valenti. Gallimard détient d’ailleurs le record absolu de prix depuis 1903 avec 39 Goncourt à son actif. Dans une enquête de France Info sur les compromissions du Goncourt, l’écrivain Jean Rouaud, parle d'un “monopole GalliGrasSeuil” en référence aux trois maisons d’édition. Entre 1961 et 2001, soit 40 ans de prix, seulement 13 autres maisons d'édition ont été sacrées par le Goncourt.
Il faut dire que le Goncourt constitue un enjeu financier important pour les éditeurs. Selon l’organisme Gfk, qui réalise des études de marché, entre 2018 et 2022, l’obtention du prix Goncourt a permis de vendre en moyenne plus de 500 000 exemplaires. Ces dernières années, l’exemple le plus frappant est “L’Anomalie”, d’Hervé Le Tellier, lauréat 2020 qui a dépassé le million d’exemplaires vendus. “Il y a une marque Goncourt” conclut Catherine Valenti.
“On est étonné par la fréquence des polémiques” retient l’historienne qui cite notamment le cas de 2021 où Camille Laurens, jurée du Goncourt, publie dans le journal Le Monde, une tribune pour dézinguer l’un des romans en lice, qui est en concurrence avec Les Enfants de Cadillac de François Noudelmann. Or, ce dernier est le compagnon de Camille Laurens. Une affaire révélée à l’époque par Radio France. “Le positif, c’est que ce genre de crise amène le jury à se réformer” relève Catherine Valenti. “Depuis 2021, il n’est plus possible d’avoir dans la liste Goncourt un ouvrage écrit par un proche des jurés” explique-t-elle.
La place des femmes dans le Goncourt également question avec seulement 13 femmes couronnées depuis 1903. La première a été Elsa Triolet en 1944. “Dès 1904, le prix Fémina est créé en réaction à la misogynie du jury Goncourt” rappelle Catherine Valenti. À l’époque, vingt-deux journalistes du magazine La Vie heureuse, estiment que le livre, La Conquête de Jérusalem de l’autrice Myriam Harry a été injustement écarté du Goncourt et elles créent donc le Fémina pour la récompenser.
Cette inégalité littéraire se reflète également dans le jury du Goncourt. “La première femme à entrer au Jury, de façon assez précoce, est Judith Gautier” raconte Catherine Valenti, “sauf qu’elle a été recrutée parce qu’elle était la fille de Théophile Gautier, très proche des frères Goncourt. D’ailleurs, elle était rarement présente aux réunions et n’était pas considérée comme une membre à part entière”. Selon l’historienne, il faudra attendre Colette, élu en 1944 pour voir une femme faire pleinement partie du jury. “Depuis la féminisation a progressé très lentement et d’ailleurs, nous n’avons toujours pas la parité” regrette-t-elle. Le jury actuel compte 6 hommes et 4 femmes.
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