Il y a 20 ans jour pour jour, à Toulouse, dans l’usine d’engrais chimiques AZF, un stock de 300 tonnes de nitrate d’ammonium explosait. 31 personnes sont mortes, 3000 ont été blessées. Les logements alentours ont été très fortement endommagés. L’entreprise gestionnaire et le directeur de l’usine ont été respectivement condamnés pour négligence et homicides involontaires. Mais pour les victimes, la page est loin d’être tournée.
Des visions d’horreur, des blessures, un traumatisme immense. Voilà ce qu’il reste dans l’esprit de Pauline Miranda. Cette Toulousaine vivait dans un appartement, à 150 mètres de l’usine. Ce jour-là, vers 10 h, elle quitte son domicile en voiture, prend la rocade. Quand elle s’arrête au feu rouge, il est 10h17 : une très forte explosion retentit. Elle voit des débris voler, arriver vers elle, s’abaisse sur le siège passager pour se protéger. Sa voiture se soulève avec le souffle et se déporte sur le côté. À peine le temps de comprendre ce qu’il se passe, elle fait demi-tour pour rentrer chez elle. Et lorsqu’elle arrive à son appartement, Pauline Miranda découvre l’horreur : “Je n’avais plus rien. Il y avait des trous béants, plus aucune fenêtre, les murs étaient fendus. Une scène pas croyable”.
Ensuite, elle s’est isolée dans ces toilettes pour ne pas respirer l’air “insoutenable”. “J’ai senti quelque chose de chaud me couler et c’était du sang. Lors de l’explosion, mon oreille gauche a complètement explosé. Tout l’oreille interne est morte”, témoigne celle qui est désormais présidente de l’association des sinistrés du 21 septembre 2001. Son appareil auditif a été pris en charge par Total. “Tous les matins, je mets un bout d’AZF dans mon oreille”, explique-t-elle. Aux séquelles physiques, s’est ajouté le stress post-traumatique. 5 ans d'antidépresseurs et le besoin de déménager, de quitter son quartier pour la campagne toulousaine.
En 2017, Serge Biechlin, ancien directeur de l’usine AZF a été condamné à 15 mois de prison avec sursis pour homicide involontaire et Grande paroisse, propriétaire de l’usine et filiale du groupe Total, a été condamné à 225.000 euros d’amende par la Cour d’appel de Paris, au terme d’un troisième procès, pour négligence et manquements. La Cour de cassation a rejeté leur demande de pourvoi, en 2019. Un sentiment d’échec pour maître Daniel Soulez Larivière, qui était l’avocat de la défense à l’époque, pour qui il n’y avait pas de preuves pour une telle condamnation. “Il y avait la possibilité d’un attentat mais pas de preuve sur le plan judiciaire. L’autre chose c’était la possibilité d’un accident. Ils ont commencé à dire que c’était un mélange de centaines de kilos de chlore avec du nitrate. Quand on a fait la reconstitution c’était impossible parce que l’odeur du chlore n’est pas supportable. [...] On n’a pas trouvé ce qui s’était passé”, déplore-t-il.
Du côté des victimes, cette condamnation a signé une véritable victoire. “Aujourd’hui, ils sont condamnés. Certes ça a été une toute petite condamnation pour un groupe comme Total, c’est une toute petite brindille mais ils ont été reconnus coupables et pour nous c’est une grande victoire”, affirme Pauline Miranda.
20 ans plus tard, cette explosion soulève toujours des faiblesses sur la gestion des risques. L’usine AZF était classée Seveso, un classement qui regroupe les sites industriels à risque, et donc nécessitait un certain niveau de surveillance. Elle n’est pas sans rappeler l’accident de l’usine Lubrizol à Rouen en 2019. Selon maître Arnaud Gossemont, avocat en droit de l’environnement, l’Etat a encore beaucoup à faire dans la gestion de ces risques industriels. “Le risque industriel est quelque chose qui est mal compris, soit exagéré soit nié. Aujourd’hui, nous avons 500.000 sites industriels en France et pour contrôler tous ces sites vous avez à peu près 1600 inspecteurs. C’est évidemment bien trop peu. c’est d’abord les moyens qui manquent”, explique-t-il.
Ce mardi 21 septembre, plusieurs cérémonies auront lieu à Toulouse, officielles ou non, pour commémorer les 31 morts mais aussi les blessés et les malades. De nombreuses personnes ont contracté un cancer dans les années qui ont suivi à cause des substances présentes dans l’air. Un centre de recherche sur le cancer, un Oncopôle, a d’ailleurs été bâti sur une partie du site sinistré.
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