Cette histoire commence mal en fait, parce que c’est au verbe latin nocere, nuire, causer un tort, faire du mal, que vient le mot innocent. Et en fait il faut remonter plus loin que le latin dans le temps et c’est alors encore pire, nocere vient en effet d’une racine indoeuropéenne « nek », désignant la mise à mort, qu’on retrouve d’ailleurs en grec et en français avec la racine « nekros », la mort, d’où les chroniques nécrologiques…
Heureusement, sur un mot si « nocif » si j’ose dire, on a construit le contraire, « ce qui ne saurait nuire », d’où l’utilisation du préfixe indiquant le contraire, « in », et l’adjectif latin « in-nocens », littéralement qui « ne nuit pas ». Le mot prit un sens chrétien assez rapidement, et fut d’abord attribué à ce qui n’était pas souillé par le mal, en somme dans l’état de pureté, d’où la comparaison première « innocent » comme l’enfant ou l’agneau, qui vient de naître ».
Et l’on a d’emblée fait référence en termes religieux au Massacre des Innocents, celui des petits enfants par Hérode, que l’on retrouve dans l’Évangile selon Matthieu, Hérode faisant tuer tous les enfants de moins de deux ans, par crainte de l’avènement annoncé d’un roi des Juifs, et cela dans la période même de la naissance de Jésus. Attesté dès 1080 avec ce sens, un « innocent » désigna d’abord un tout jeune enfant.
On le dit encore en évoquant l’innocence du premier âge, et nos chers innocents. Puis le mot désigna au XVe siècle toute naïveté et même un simple d’esprit, et au libertin XVIIe siècle une personne ignorant les choses de l’amour. De manière amusante, naissait aussi la formule oubliée, la robe à l’innocente ou robe innocente, mise à la mode par Mme de Montespan, une robe portée sans ceinture et dissimulant ainsi ses grossesses.
En effet, un sens attesté dès 1300. Et rien n’est pire que de voir un innocent condamné. De manière générale, il est de bon ton de railler les innocents, Jean-Pierre Melleville déclarant par exemple que « les hommes naissent innocents mais que ça ne dure guère » et Charles Nodier d’ajouter que « quiconque parvient à discerner le bien et le mal a déjà perdu son innocence ». Eh bien oublions les esprits forts, et disons-le tout de suite : l’innocence, c’est aussi un état d’esprit, ne pas voir le mal partout, et pousser vers le bien.
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