Vincent Lambert, ancien infirmier de 42 ans est plongé dans un état végétatif chronique ou pauci-relationnel depuis dix ans suite à un accident de voiture. Les médecins du CHU de Reims, dans lequel il est soigné, ont annoncé à ses parents qu’ils changeraient cette semaine le protocole de soins de Vincent Lambert, c'est-à-dire qu’ils cesseraient l’hydratation et l’alimentation artificielle avant de le plonger dans une sédation profonde et continue.
Les parents de Vincent Lambert, à la différence de sa compagne, s’opposent depuis des années à cette décision et parlent d’euthanasie en multipliant les recours pour ne pas conduire leur fils vers la mort. Si de multiples instances ont étés consultées sans trouver à redire à la décision de l’équipe médicale, le comité des personnes handicapées de l’ONU a demandé à la France de suspendre cette décision le temps qu’il termine son enquête.
Jean Matos est spécialiste des questions d’éthique médicale et chargé de mission auprès du groupe bioéthique de la conférence des évêques de France. La Conférence des évêques de France qui a publié ce week-end une déclaration à propos de Vincent Lambert, une déclaration dans laquelle la Conférence insiste sur la protection des personnes les plus fragiles, le respect de l’État de droit, son refus de la précipitation, tout en redisant sa « confiance » au corps médical. Malgré tout, cette décision pose un certain nombre de questions, toujours selon les évêques de France.
Pour Jean Matos, il y a aujourd’hui une forme « d’indécence » à parler de la situation de Vincent Lambert pour une décision qui est « intime », qui nous invite à une forme de « retenue », et qui invite les croyants à la prière pour Vincent Lambert, sa famille et les personnes concernées par cette situation. Un des aspects de cette situation est que Vincent Lambert est incapable d’exprimer sa volonté et son consentement à la décision prise. Pour Jean Matos, cet état de fait rend difficile de « se mettre à sa place » et devrait nous pousser à ne pas prendre un « parti idéologique » de part ou d’autre.
Tout le monde s’est exprimé sur ce que l’on a appelé « l’affaire Vincent Lambert », jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, sans que lui ne puisse partager son ressenti. Vincent Lambert n’a pas rédigé de directive anticipée et n’a pas nommé une personne de confiance, ces deux dispositifs étant rendus possibles pour chaque citoyen depuis la loi Leonetti de 2005. Pour Jean Matos, ces éléments auraient permis de connaître la volonté de Vincent Lambert, sans pour autant rendre l’affaire plus simple d’un point de vue éthique.
Une affaire particulièrement complexe qui impose de se placer « au-delà des postures » et de s’en tenir au cadre juridique en vigueur, en l’occurrence les lois de 2005 et de 2016 qui ont été votées sur le sujet. Il est aussi important de revenir « à la réalité des faits », et de se pencher sur le cadre médical.
Il y a des personnes dans des situations semblables à celle de Vincent Lambert en France : ils seraient entre 1500 et 1700 cérébro-lésés à être placés dans des institutions adaptées. Mais là où la situation de Vincent Lambert est particulière, c’est qu’il n’a pas été pris en charge dès le départ dans une unité qui serait vraiment adaptée à sa situation. Ce week-end, des établissements médicaux se sont d’ailleurs fait connaître en indiquant qu’ils avaient des places pour accueillir Vincent Lambert.
Mais; selon la loi française, seul le tuteur de la personne malade peut demander un transfert. La compagne de Vincent Lambert n’ayant pas souhaité ce transfert, il devient légalement impossible, selon Jean Matos. Une impossibilité confirmée par la Cour de Cassation, toujours selon le chargé de mission auprès du groupe bioéthique de la conférence des évêques de France
La loi impose au médecin de consulter la famille, mais l’avis donné par les proches du patient ne peut être que consultatif. Légalement, la famille n’a donc « aucun pouvoir décisionnel ». Jean Matos regrette la tournure prise par les événements, notamment sur les plans judiciaire et politique.
La sédation continue dans laquelle va être placé Vincent Lambert ne constitue pas une euthanasie « aux termes de la loi » du 2 février 2016, dans le sens où l’intention de cet acte médical n’est pas de donner la mort. Cette intention du sujet, en l’occurrence du médecin, est un concept fondamental dans l’appréciation morale d’un acte. C’est le principe du double effet théorisé par Thomas d’Aquin : si l’on prend la décision d'apaiser les douleurs de la personne, il faut envisager le risque d’une accélération de la mort, explique Jean Matos.
Dans la situation de Vincent Lambert, toute la question est de savoir si son cas relève effectivement de la loi Leonetti. Les parents de Vincent Lambert expliquent qu’il n’est pas en fin de vie : et pour cause, si l’ancien infirmier de 42 ans était maintenu dans le régime de soins actuel, il pourrait vivre « pendant des décennies », explique Jean Matos. Cependant, la loi Leonetti ne concerne pas uniquement la question de la fin de vie, mais les droits des patients de manière générale. Le cadre légal, s’il interdit l’euthanasie, condamne également « l’obstination déraisonnable », c'est-à-dire l’acharnement thérapeutique.
Trois critères prévalent pour apprécier le caractère déraisonnable d’un traitement : si les soins deviennent « inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre but que le maintien artificiel en vie », il s’agit d’une obstination. Jusqu’à aujourd’hui, les différentes décisions judiciaires ont confirmé que Vincent Lambert était « maintenu artificiellement en vie », en se basant sur ce cadre légal. Un état de fait qui est différent d’une appréciation morale de la décision.
De son côté l’Eglise catholique invite au respect « de l’éthique et de l’État de droit », dans le communiqué de la Conférence des évêques de France publié le 18 mai. Un appel à la prudence alors que la situation s’accélère depuis ces dernières semaines.
Pour Jean Matos, s’il existe des situations semblables en France, il est important de se pencher sur la « singularité » du cas de Vincent Lambert, en rappelant bien qu’il s’agit d’un individu, dans une situation unique.
En ce qui concerne l’accompagnement médical, et ce qu'implique la décision des médecins du CHU de Reims, vous pouvez retrouver dans son intégralité, l’interview que nous avons réalisée avec le docteur Vincent Morel, spécialiste de ces questions :
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