Le Liban a son nouveau président depuis le 9 janvier dernier. Le pays, qui n'avait plus de chef d'Etat depuis deux ans, compte de nombreux chantiers parmi lesquels la cessation de l'occupation israélienne dans le sud du pays, la crise socio-économique et la gestion de l'afflux de réfugiés Syriens depuis 2015.
Le général Joseph Aoun, 61 ans, a été élu au suffrage indirect. Il a obtenu la majorité requise à l'issue du second tour du scrutin. Depuis 2017, ce chrétien maronite commandait l'armée libanaise. Benjamin Blanchard, directeur général de l'association SOS Chrétiens d'Orient, analyse la situation libanaise.
Benjamin Blanchard : Vu l'état de l'armée libanaise, je crois qu'il n'y a pas de grands risques de coup d'État ou de prise de pouvoir autoritaire par le chef de l'armée. L'armée libanaise est tellement faible, elle est devenue pratiquement inexistante. C'est aussi une situation dont le Liban a l'habitude puisqu’il y a déjà eu, sur les trois derniers présidents, deux qui étaient des chefs de l'armée en poste. D’autre part, le rôle du président au Liban a été quand même très affaibli par les accords de Taëf qui ont mis fin à la guerre civile libanaise dans les années 1990, en retirant une partie des pouvoirs au président - chrétien maronite - pour le donner au premier ministre (un musulman sunnite).
Le leadership de la communauté sunnite était très faible depuis le retrait de la famille Hariri. Ce qui explique que le Premier ministre avait petit à petit perdu son poids dans le jeu politique libanais.
B. B. : Cette manière de faire n'est pas une obligation constitutionnelle mais c'est le pacte national de 1943. Il n’y a pas que les postes les plus hauts qui sont concernés, tous les postes sont répartis ainsi : le chef de l'armée est forcément un chrétien maronite, le chef de la Sûreté générale est forcément un chrétien orthodoxe, etc. Et chaque communauté a des postes réservés. C'est aussi un gage de protection pour toutes les composantes de la société libanaise, afin qu'il n'y ait pas la dictature d'une partie sur une autre.
C'est un gage de protection pour toutes les composantes de la société libanaise
B. B. : Le problème qu'il y a eu depuis les accords de Taëf, c'est que dans l'accord régional et international qu'il y a eu, on a confié la défense du Liban à la seule milice qui avait le droit de rester armée, le Hezbollah. Et c'était un accord régional, tout le monde s'est mis d'accord de cette façon. Ce qui a eu pour conséquence de permettre au Hezbollah de devenir de plus en plus armé, négligeant ainsi l'armée régulière. Chaque nouveau président, dans son discours d'investiture, rappelait jusqu’il y a peu le triptyque fondamental de toute politique libanaise : le peuple, l'armée et la résistance (comprenez le Hezbollah). Le Hezbollah était vu comme un pilier, un acteur essentiel du pays.
Par rapport au président élu Aoun - ce qui est très notable -, c'est qu’il a omis de mentionner ce triptyque comme tel. Il a parlé du peuple et de l'armée, il n'a pas mentionné la résistance. De cette manière, il entend mettre fin à cette prérogative, à cette prépondérance du Hezbollah. En cela il est bien aidé par le contexte régional qui a quand même décapité le Hezbollah, ainsi que le contexte syrien et la chute du régime précédent.
B. B. : La région l'intéresse beaucoup. Et d'ailleurs, c'est quelque chose d'assez notable que son émissaire participe aux négociations entre Israël et le Hamas actuellement. C'est une situation exceptionnelle. Et plus particulièrement pour le Liban, il est intéressant de voir qu'il a nommé le beau-père d'un de ses enfants - un Libano-américain riche et influent - comme émissaire de son administration pour le Liban. Donc je pense que ça démontre son intérêt pour la politique du pays. Tous les analystes sont d'accord pour dire que l'élection de Joseph Aoun, et encore plus la nomination du nouveau Premier Ministre, a été vécue comme une victoire totale de l'axe américain et donc une défaite totale de l'axe iranien et de ses alliés dans la région. Depuis le mois de septembre, l'Iran ne fait qu'accumuler les défaites aux exemples de la mort d'Hassan Nasrallah, de la défaite du Hezbollah au Liban, et de la révolution syrienne.
B. B. : Les chantiers sont immenses et ils ne manquent pas. Tout d’abord quant à la question des réfugiés, oui c'est un poids énorme sur le Liban ; 1,5 million de réfugiés syriens (dans un pays qui compte 5,3 millions d'habitants) qui créent un déséquilibre dans le contexte économico-social et confessionnel parce qu’ils sont presque tous des musulmans sunnites. Notons que ces réfugiés étaient principalement opposés au gouvernement syrien précédent. La Syrie est détruite tant et si bien que le retour massif des réfugiés ne pourra se faire qu'à condition de lever les sanctions américaines et européennes qui frappent le pays et que de nouveaux investissements soient effectués pour relever le pays de la misère. Pour éviter une crise migratoire comme celle de 2015, nous avons tout intérêt à aider ces gens à rentrer chez eux.
On a évoqué l'occupation israélienne, voilà un chantier diplomatique pour mettre fin à cette situation et organiser le retour des déplacés dans leurs villages au sud du Liban. Ensuite il y a le chantier économique avec une situation extrêmement compliquée même s'il faut dire que depuis un an et demie, l'économie a un petit peu redémarré. Il faut de la production interne. L'économie libanaise était essentiellement une économie commerçante et financière. Il faut inciter le pays à produire. Le président Aoun dans son discours d'investiture a assuré qu'il sera intraitable sur la restitution par les banques de l'argent des déposants puisque, cet argent y est bloqué depuis la crise de 2019. Le chef de l’Etat a aussi précisé aussi que les banques seront soumises à la loi pour éviter la corruption très active dans le pays.
Si ces défis sont relevés, ce serait un changement énorme pour le pays !
B. B. : L'espoir est là, notamment avec cette élection, mais aussi avec tout le contexte régional que nous avons mentionné. On a l'impression que la défaite de ce camp pro-iranien est une opportunité, même si certains chrétiens étaient plutôt des soutiens de ce camp contre l'occupation israélienne. En tout cas, c'est une opportunité d'avoir une ère de stabilité et de prospérité, deux éléments absolument indispensables pour que le pays redémarre et pour que les chrétiens restent, eux qui étaient les premiers à partir. Certains chrétiens du Sud sont rentrés chez eux, mais pas tous, et il y a certains villages où ils n'ont toujours pas le droit de revenir, comme par exemple le village de Yaroun, où il est toujours interdit de rentrer sous ordre de l'armée.
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