Jusqu’ à quand vais-je entendre ces récits tragiques, bouleversants, érodant jusqu’au
tréfonds mon âme, de ces personnes fracassées par des abus spirituels, de pouvoirs, des
emprises, des agressions sexuelles ?
Jusqu’à quand tenter de se faire proche dans un infini respect de ces histoires qui vous mettent sens dessus dessous, tout au-dedans.
Jusqu’au bout répond ma vie. Et je ne sais où se tiendrait ce « bout » hypothétique.
Cette seule semaine quatre histoires, chacune si singulière et par là même universelle,
où les premiers mots s’embrument, se perdre, cherchent un souffle, gardent une immense pudeur.
Entendre encore et encore comment des hommes dits d’Église ont manipulé la confiance
obvie de l’enfance, ou de l’enfant toujours présent en nous comme l’écrivait Françoise
Dolto. Confiance piétinée, enfance volée, capacité d’aimer meurtrie parfois à jamais,
culpabilité, honte, peur panique de tout espace clos, empêchements de vivre… les listes des
ravages au trop long cours commis par ces crimes sont pires que des jours sans pain.
Ici et là on entend encore que tout cela n’est que complot contre l’Église de la part de
courants anticléricaux ou du sein de l’Église catholique, de ceux qui voudraient en finir avec
l’institution, avec le sacré en la salissant ainsi.
Je ne sais si nous mesurons les mots. De quel complot s’agit-il ? De quelle salissure est-il
question ? De quel sacré parle – t-on ? sinon du complot contre le vrai et le bon amour, celui
qui ne peut se départir de la loi. De quel sacré ? sinon le seul qui soit : celui de l’inviolabilité
du corps, de l’âme, du cœur et de l’esprit, celui de la dignité de toutes les victimes, qui vient
de Dieu lui-même. « Voici l’homme », cette parole – prophétique - de Pilate prend avec elles
tous ces visages et ces corps meurtris, ces histoires retournées et vient nous enjoindre,
enfin, de reconnaître en eux le visage du Dieu humilié par ses bourreaux.
Comment résister encore quand vient et revient le récit saccadé du cynisme de ces
bourreaux manipulateurs avertis, des compromissions de responsables et de communautés
qui ont refusé d’entendre et d’agir, qui sont restés sans courage autant que sans la
sollicitude élémentaire et la honte nécessaire.
Le miracle c’est que beaucoup croient toujours au Christ. Le miracle c’est qu’aujourd’hui
enfin grâce à leur courage, ces femmes et ces hommes relèvent l’Église du Christ en prenant
parole et demandant des comptes. Le miracle c’est qu’elles soient encore en vie, mais à quel
prix.
Alors vraiment qu’elles sachent, autant qu’il est possible, qu’il est des voix qui les écoutent
jusqu’au bout de leur nuit, là où ensemble peut-être, nous trouverons le chemin du levant.
Qu’elles puissent non pas croire, mais voir, que nous ne les abandonnerons plus. Pas plus
que nous ne délaisserons nos responsabilités.
Sr Véronique Margron est religieuse dominicaine, présidente de la Corref (Conférence des religieux et religieuses de France). Chaque semaine, écoutez son édito dans La Matinale RCF.
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