C’est une photo qui détonne dans la galerie de portraits des présidents de la Cinquième République. Pour une raison toute simple d’abord, elle est horizontale. Toutes les autres sont en hauteur, à la verticale. C’est évidemment un symbole. La verticalité, c’est le pouvoir descendant, qui vient d’en haut. C’est aussi le cadrage des portraits de puissants, en photo comme en peinture. Il suffit de se balader dans les allées du Louvre – on va bientôt pouvoir le faire de nouveau – pour s’en rendre compte. L’horizontalité, c’est la promesse d’un rapport au pouvoir plus humain. C’était ce que Valéry Giscard d’Estaing voulait faire passer. Pas sûr qu’il y soit arrivé.
C’est une photo d’un homme d’une quarantaine d’années qui nous regarde dans les yeux. Il est en costume de ville, veste sombre, chemise blanche, cravate à poids. Il est cadré juste sous les épaules, il est un peu décentré sur la gauche devant un drapeau bleu blanc rouge en mouvement. Les traits qui séparent ces trois bandes de couleur ondulent, elles ne sont pas bien droites. Bien plus simple que les photos précédentes du Général de Gaulle ou de Georges Pompidou, avec les habits d’apparats, des légions d’honneur gigantesques, des costumes trois pièces, avec moultes médailles et bandeaux, devant des majestueuses bibliothèques de livres à la tranche dorée. Le général de Gaulle porte même l’imposant collier de Grand Maître de l'Ordre de la Libération. Et les deux portent leur regard vers le lointain, un hypothétique horizon. Cette photo de "VGE" tranche donc pour plein de raisons : son cadrage, le costume, le décor.
C'est le grand photographe Jacques Henri Lartigues qui prendra la photo. Il raconte la scène dans son journal.
Il reçoit un coup de fil, sa femme décroche, elle vient le voir perplexe : "C’est le président qui veut te parler".
"Le président ? Quel président ?" Jacques Henri Lartigue ne comprend pas, pense à une blague, et il entend le président lui demander de réaliser la photo officielle de son septennat.
Décontenancé, il lui répond que c’est impossible, qu’il ne sait pas faire ce genre de choses, que ses photos n’ont rien à voir avec le genre "photo officielle". Il répond que justement, c’est ce qu’il veut. Rendez-vous est donné le lendemain à six heures du soir à l’Élysée. Mais le photographe refuse : sa femme a un rendez-vous important chez le médecin. Le président se démonte pas : qu’il vienne dès qu’il peut, il attendra.
Il y est allé à 18h30. Une demi heure de retard… Ils se mettent d’accord sur l’idée du drapeau. Jacques Henri Lartigue en parle à un copain, tellement emballé qu’il veut être son assistant. "Moi qui n’en ai jamais", commente Jacques Henri Lartigue. Et trois jours plus tard, l’assistant arrive à l’Elysée pour la prise de vue… les mains vides ! Ils ne se sont pas compris, personne n’a pris d’appareil. Panique et branle bas de combat. Motard, voiture qui fend la circulation, et le photographe récupère son matériel. En quelques minutes sur le perron de l’Elysée, la photo est faite. Sur les planches contacts, on voit des essais de photo à la verticale – un peu guindé. Et puis un petit rire et la bonne photo.
Après lui, François Mitterrand gardera l’idée du costume de ville et du regard planté droit dans le nôtre, mais il reviendra au cadrage traditionnel, vertical et puis dans la bibliothèque. Jacques Chirac, François Hollande, Emmanuel Macron reprendront eux l’idée de faire appel à de grands photographes, avec des cadrages surprenant. Mais on doit bien le reconnaître, sans grand succès. Peut-être parce que quelque soit la modernité du président, l’exercice du portrait a toujours quelque chose d’un peu compassé.
Chaque vendredi dans la Matinale RCF, David Groison commente une photo de presse.
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