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"Le bus au Brésil"

RCF,  - Modifié le 12 octobre 2018
Chaque vendredi David Groison analyse une image de l'actualité.
Fanny Cohen MoreauFanny Cohen Moreau

Le Brésil a changé de visage dimanche soir. Jair Bolsonaro, le candidat de l’extrême-droite est arrivé en tête du premier tour. 46% des voix. On voit mal ce qui pourrait l’empêcher d’être élu. Et cette photo nous montre que la foule brésilienne a l’air de cet avis.
 
C’est une image qui se lit en deux temps. D’ailleurs, elle est composée de deux plans. En premier lieu, une femme noire attire notre regard. Elle est au centre de l’image. Elle est dans un bus. On la découvre encadrée par une large fenêtre. Et on ne voit qu’elle : elle crie, elle semble effrayée. Elle a les yeux exorbités, la bouche grande ouverte, les bras et les mains écartés. Elle est très expressive. On dirait une scène de film. A ses côtés, une autre femme noire se tient debout, elle a l’air de la soutenir, comme si son amie allait tomber à la renverse. Elle aussi a la bouche grande ouverte. Mais pourquoi réagissent-elles ainsi ? Notre regard bascule alors sur le premier plan, la moitié inférieure de l’image. Et là, on tient sans doute notre réponse : nous découvrons des manifestants. On devine la liesse : des hommes brandissent le drapeau jaune et vert du Brésil. Un garçon tend bien haut une affiche. Il est de dos, il montre certainement des inscriptions à la dame qui crie. On imagine que c’est un slogan politique qui y figure. La légende de la photo nous apprend d’ailleurs qu’il s’agit bien de supporters de Jair Bolsonaro. Est-ce qu’ils la provoquent avec des paroles racistes, avec des mots outranciers comme leur candidat a pu et continue à en prononcer ? Sans doute, sans doute…
 
Si on regarde attentivement les autres passagers, si notre regard retourne dans le bus, on est un peu surpris. Devant les deux femmes, un homme plus âgé somnole, atone. Dans le fond, une femme avec son enfant regarde ailleurs. Et juste derrière elle, un jeune homme sourit et fait un signe de la main. Il adresse un signal de sympathie aux manifestants. Et ce qui est étrange… C’est qu’il est noir lui aussi. La réalité ne semble alors pas si simple. Jair Bolsorano est  un candidat d’extrême-droite, qui divise le pays. Les actes de violence, homophobes notamment, ont explosé depuis dimanche soir. Mais la lecture raciale n’est peut-être pas la bonne… En regardant les autres photos prises un peu avant et un peu après par le photographe de Reuters, Ricardo Moraes, j’ai été foudroyé.
 
Il a continué à photographier le bus. Et on revoit cette dame faisant le V de la victoire, avec ses doigts. Ce n’était pas un cri de terreur, des yeux écarquillés par l’horreur, c’était un cri de joie, une communion face au changement politique en train d’advenir. Comme quoi capturer un instant précis peut parfois induire en erreur. Nos références socioculturelles peuvent nous pousser à faire une lecture erronée de la situation. Des noirs, des blancs dans un bus, on pense bien sûr à Rosa Park, à Martin Luther King, à la ségrégation aux aux Etats-Unis.

Mais on est au Brésil. Et cet effroi, c’était juste le mien. Pas celui du photographe qui capture simplement une réalité. Ni celui de cette femme, qui lassée par des partis corrompus, est prête à basculer dans un régime autoritaire. Il est seulement dans l’œil de celui qui regarde.

 

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