Les images que l’on a vu passer dans les pages de nos journaux, à la télévision ou sur les réseaux sociaux sont impressionnantes. Un pétrolier encastré dans le tablier du pont, un aéroport inondé, un amoncellement de voitures, une vague gigantesque de plusieurs mètres de haut, un immeuble qui part en lambeaux… Les scènes frappantes ne manquent pas. Les pluies diluviennes et les rafales de vent à 220 kilomètres heure ont fait de spectaculaires dégâts. Mais la photo qui, de mon côté, m’a le plus marqué, c’est celle d’un camion sur un pont.
Un camion bleu est en équilibre sur le coin inférieur gauche. Il ne tient que sur ses roues, retenu par la frêle rambarde d’un pont gigantesque. Un pont de béton, qui semble infini. La ligne de fuite se perd au loin. On devine en arrière plan, la mer. C’est un pont qui joint une ile : on est à Sakaide, un archipel au Japon. Notre regard circule, et on repère alors quelques mètres derrière une petite voiture de police, arrêtée sur la bande d’arrêt d’urgence. A côté, un homme de dos, un casque sur la tête, agite un petit drapeau rouge pour stopper une circulation qui n’existe pas.
D’abord, c’est une photo, mais c’est un film qui se dessine dans nos têtes. On devine évidemment l’avant : la force du vent, si puissant qu’il a fait décoller des voitures, qu’il a même fait basculer un camion. Et la deuxième chose, c’est le miroir que cela nous tend. Sur notre condition d’homme. C’est notre fragilité devant les éléments qui nous apparaît. C’est notre vanité de construire de telles infrastructures, de conduire de tels engins. Et notre ridicule aussi. L’homme agite son petit drapeau, comme si ce morceau d’étoffe de quelques centimètres allait donner l’alerte plus sûrement que ce monstre couché de plusieurs tonnes, sous le simple prétexte que c’est un être humain qui agit, qui s’agite, qui est en mouvement.
Cette image résonne avec celle du 14 août, quand le viaduc de Gênes s’est effondré. On se souvient tous de ce camion bleu et vert stoppé à un ou deux mètres du précipice. L’image disait de la même façon notre fragilité, mais elle nous avait touché AUSSI car elle illustrait la place du hasard dans nos vies. A quelques secondes près, à quelques mètres près, si j’avais appuyé un peu plus fort, un moins fort sur la pédale de frein… Un jour ça tombe ici, un autre là. Mardi, c’était au Sud Ouest du Japon. C’est plus loin, on en a moins parlé.
Chaque vendredi dans la Matinale RCF, David Groison commente une photo de presse.
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