Je vous emmène dans le bureau de Vladimir Poutine. C’est d’ailleurs littéralement ce que l’on voit : un bureau en bois vernis, de couleur sombre et qui traverse l’image de part en part. Il y a le bureau massif au centre de l’image, mais il y a aussi des meubles qui le prolongent de part en part. Il forme un ensemble interminable. Et coincé derrière ce bureau gigantesque, il y a dans un petit cinquième de l’image, tout à gauche, Vladimir Poutine assis sur un fauteuil blanc à roulettes assez classique. Il porte un costume sombre, a des feuilles de papiers devant lui, un stylo à la main. Il a surtout les yeux perdus dans le vague. Il a l’air complètement abattu. On a l’impression de voir un employé de bureau qui n’en peut plus, qui s’ennuie et qui attend que le temps passe.
Face à lui, il y a deux écrans. Un écran de télé gigantesque qui occupe la moitié droite de l’image : il affiche une grande mosaïque d’hommes en costumes, des politiques, des dirigeants en visioconférence. Et sur le bureau, il y aussi un ordinateur noir très simple avec un fond d’écran de touriste : la place rouge. Derrière un mur blanc sans charme, deux appliques qui diffusent une lumière un peu rude. On est bien loin des images d’apparat, de pouvoir, de puissance, auxquelles on est habitué avec les grands de ce monde.
Cette semaine, on a aussi reçu des images des Etats-Unis comme un miroir de celle-ci. Donald Trump qui signe un papier à l’hôpital ou qui enlève son masque sur le balcon de la Maison Blanche. Avec moults drapeaux, bannières étoilées et aigle puissant, visage solennel ou concentré. Que veut nous dire Vladimir Poutine avec cette photo sans apparat et où il apparaît désabusé ? Vladimir Poutine nous montre qu’il se protège, qu’il prend la pandémie au sérieux, lui. Il y a un message forcément, car bien sûr, le président russe sait qu’il est pris en photo.
C’est un photographe, Alexey Druzhinin, qui travaille pour l’agence nationale russe, Sputnik qui a composé la photo. Une telle photo est très orchestrée. Valdimir Poutine ne va pas plus au Kremlin, il est installé dans sa propriété dans la banlieue de Moscou. Pour y pénétrer, il faut passer par un tunnel de désinfection, une machine où vous êtes aspergé de désinfectant de tous les côtés. On vous prend aussi votre température, on vous fait passer un test de reconnaissance faciale. Mais le plus dingue, c’est qu’il faut rester deux semaines en quarantaine avant de pouvoir rendre visite au chef de l’état. Autant dire que le photographe était motivé pour prendre sa photo. Et on comprend au passage que les équipes gouvernementales, les chefs d’entreprise, les gouverneurs préfèrent travailler en visioconférence avec Monsieur Poutine. Du coup, la trace d’ennui qui transparait tout de même sur son visage, son regard vague, perdu, c’est sans doute celui d’un homme qui s’est contraint à une certaine solitude et qui s’ennuie. Enfin, c’est comme ça que je le lis. Comme quoi, même dans les photos un peu mises en scènes, en tous cas très contrôlées, des bouts de vérité peuvent surgir.
Chaque vendredi dans la Matinale RCF, David Groison commente une photo de presse.
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