Un ultime référendum sur l’autodétermination en Nouvelle-Calédonie est prévue, ce dimanche 12 décembre. Une date critiquée, et qui ne devrait pas marquer la fin du processus.
"Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?" C’est la question à laquelle vont devoir répondre, dimanche 12 décembre, les quelque 185.000 électeurs calédoniens, au cours du 3e et ultime référendum prévu par l’accord de Nouméa. Peu importe le résultat, ce sera la fin d’une étape qui s’inscrit dans près de 30 ans de négociations, sans qu’une solution n’ait été trouvée pour l’instant.
"La Nouvelle-Calédonie a été, dans l’empire français, l’une des seules colonies de peuplement, rappelle Benoît Trépied, anthropologue, chercheur au CNRS et spécialiste de l’archipel. C’est-à-dire que la population indigène s’est retrouvée peu à peu en minorité chez elle. Dans les 1970, quand les premiers mouvements indépendantistes kanaks ont demandé à sortir de la situation coloniale par l’indépendance, ils ont estimé être les seuls à pouvoir se prononcer sur cette question. Mais l’État français et les anti-indépendantistes locaux ont opposé la loi française 'un homme, une voix'. Cette confrontation entre ces deux légitimités a débouché sur des événements violents dans les années 1980, ayant une allure de guerre civile."
Le paroxysme de cette violence est atteint en 1988, lors du massacre d’Ouvéa, où quatre gendarmes, deux militaires et 19 kanaks sont tués après une prise d’otage. Un bain de sang qui pousse les indépendantistes et les loyalistes à négocier, sous l’égide du Premier ministre de l’époque, Michel Rocard. Les discussions aboutissent aux accords de Matignon, qui prévoient un statut transitoire jusqu’à un référendum d’autodétermination programmé dix ans plus tard. Finalement, en 1998, le scrutin est repoussé pour poursuivre les négociations, et aboutir à l’accord de Nouméa. "Ce texte a organisé la décolonisation progressive de la Nouvelle-Calédonie, explique Benoît Trépied. Cela passe par un transfert de compétences de l’État, exercées par un gouvernement local collégial ; la reconnaissance officielle de l’identité kanak ; et la construction d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, composée du peuple kanak, entouré des différentes communautés vivant dans l’archipel. Tous ces gens travaillent à faire émerger un sentiment d’appartenance commune."
À l’issue de ce processus, le peuple calédonien devait se prononcer sur l’autonomie de l’archipel, au cours d’un premier référendum, organisé en 2018, où le "non" à l’indépendance a recueilli plus de 56% des voix. En cas de "non", l’accord de Nouméa prévoyait un 2e référendum, mis en place en 2020, où le "non" a encore obtenu une majorité, mais plus courte, avec 53% des suffrages. Dans cette hypothèse, un 3e et dernier référendum était prévu : celui qui est organisé le dimanche 12 décembre. Une date critiquée par les indépendantistes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), qui demandent un report après les élections présidentielle et législatives, à cause de la situation sanitaire.
"Pendant plus d’un an, la Nouvelle-Calédonie a été l’un des rares territoires épargnés par le Covid-19, souligne Benoît Trépied. Mais le variant Delta est arrivé début septembre, et il a fait des ravages en particulier dans les communautés kanakes, qui cumulent les facteurs de comorbité. Or, les cérémonies coutumières de deuil n’ont pas pu être organisées à cause de l’épidémie, donc il y a un sentiment de ne pas pouvoir passer à autre chose du jour au lendemain. Le temps du deuil n’est pas le temps de la politique. Et puis, concrètement, cette situation fait que les indépendantistes ne peuvent pas faire campagne dans les villages kanaks. Ce serait perçu, socialement et culturellement, comme un affront." Malgré tout, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie a confirmé que le référendum aurait bien lieu ce dimanche, estimant que la crise sanitaire était "maîtrisée".
Le FNLKS a donc, d’ores et déjà, indiqué qu’il ne reconnaîtrait pas le résultat du 3e référendum. Normalement, l’accord de Nouméa prévoit qu’en cas de trois "non", les acteurs politiques se retrouvent pour discuter de la situation. Emmanuel Macron a d’ailleurs confirmé, en novembre, que l’État "reprendrait l’initiative du dialogue" pendant une période de 18 mois. Mais la perte de confiance vis-à-vis de ce gouvernement pourrait pousser les indépendantistes à attendre l’élection présidentielle avant de se remettre à la table des négociations.
Quoi qu’il en soit, le président de la République a déclaré, jeudi 9 décembre en conférence de presse, qu’il y aura "une vie ensemble" après le vote. Il a aussi réaffirmé la phrase déjà prononcée en 2018, lors d'une visite sur place : "La France sera moins belle sans la Nouvelle-Calédonie." L’État perdrait surtout un atout géopolitique majeur dans le Pacifique : "L’archipel offre à la France une capacité à être présente dans un espace qui va devenir très important, d’après Bastien Vandendyck, analyste en relations internationales, et spécialiste de la Nouvelle-Calédonie. C’est le centre névralgique des activités militaires françaises dans le Pacifique, c’est aussi un positionnement géostratégique essentiel, en plein cœur de l’arc mélanésien, aux portes de l’Asie du sud-est, proche de l’Australie. Et puis la Nouvelle-Calédonie dispose de ressources, comme le nickel et le cobalt, qui vont prendre de l’importance avec la transition énergétique et numérique."
À l’inverse, une indépendance de la Nouvelle-Calédonie ferait de l’archipel une proie potentielle pour la Chine. "C’est ce qui est arrivé à tous les autres États mélanésiens, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, aux îles Fidji, aux Salomon, au Vanuatu, précise Bastien Vandendyck. La Nouvelle-Calédonie, petit territoire, ne peut pas se défendre face aux menaces qui l’entourent, notamment celle du réchauffement climatique. Donc si elle venait à perdre la protection française, elle devrait trouver une autre influence, comme celle de la Chine. Or, les deux puissances n’ont pas les mêmes ambitions dans la région : au-delà de s’assurer du soutien de la Nouvelle-Calédonie contre Taïwan, la mainmise chinoise permettrait à Pékin de récupérer les matières premières présentes sur l’archipel. Mais il est évident que la Chine n’aura pas les mêmes ambitions pour le développement du territoire et le bien de la population, par rapport à la France, qui a une responsabilité, une mission de rééquilibrage social et économique." Ce 3e et ultime référendum est donc très important pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi de la France. À tel point que le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, est attendu sur place, ce dimanche.
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