Après avoir reconnu la "responsabilité institutionnelle de l'Église" dans les violences subies par les victimes d'abus sexuels, les évêques ont participé à un temps mémoriel et pénitentiel, ce samedi 6 novembre. Un temps fort de cette assemblée plénière d'automne, à Lourdes, où quelques personnes se sont aussi rassemblées en soutien aux victimes.
Gravée dans la pierre, une larme coule sur la joue de l’enfant. Dans ses yeux, "se mêlent la souffrance de la violence subie, le déni de sa parole et une grande solitude", est-il écrit sur une plaque, juste à côté de cette photo de statue d’église, prise par une victime d’abus sexuels qui souhaite rester anonyme. En attendant la construction d’un lieu mémoriel, cette photo a été dévoilée, ce samedi 6 novembre, près de l’hémicycle des évêques, à Lourdes.
De plus près : la photo dévoilée, prise par une victime d’abus sexuels et désormais affichée près de l’hémicycle des évêques. Ainsi que le texte exact qui l’accompagne. #APLourdes pic.twitter.com/JmkSvO1dfM
— Clotilde Dumay (@clodumay) November 6, 2021
"Il y a là un visage qui va rappeler à tous ceux qui passeront par-là, y compris les évêques, nos visages défigurés", témoigne Véronique Garnier, victime d'abus sexuels de la part d'un prêtre dans son enfance. C’est elle qui a lu le message écrit près du cliché, avant que Mgr Éric de Moulins-Beaufort, l’archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France (CEF), ne prenne la parole.
Petit enfant qui pleure sur un pilier d’église, là où tu devrais chanter, louer, te sentir en paix dans la maison de Dieu, nous te regardons. Désormais, nous passerons devant toi en te voyant, en t’écoutant. Petit enfant qui pleure, petite fille, petit garçon, adolescente, adolescent, moi, Éric, évêque de l’Église catholique, avec mes frères évêques et les prêtres et les fidèles qui le veulent bien, j’implore de Dieu en ce jour qu’il m’apprenne à vous être fraternel. Ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.
Autour de la photo, les évêques de France se mêlent aux 130 personnes invitées à travailler, avec eux, sur le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase), rendu début octobre. Les visages sont graves, parfois remplis de larmes. En silence, la procession avance jusqu’à l’esplanade de la basilique Notre-Dame-du-Rosaire, en cette froide matinée d’automne où le soleil a fait son retour, pour l’une des journées les plus marquantes de cette assemblée plénière.
Retentit alors le glas, pendant que les évêques s’agenouillent, devant une grande croix rouge dressée sur le parvis. "Ô Dieu que nous osons appeler 'notre Père', pardonne-nous", demande encore Mgr Éric de Moulins-Beaufort. Le psaume 21 est lu, celui dont le début a été prononcé par Jésus sur la croix : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?" La foule reprend : "Seigneur, prends pitié".
"Ce matin, nous n’étions pas des milliers sur cette esplanade, nous étions environ 300, estime Mgr François Touvet, évêque de Châlons-en-Champagne. Mais j’ai senti derrière moi, et sur mes épaules, la foule immense de toutes les victimes, comme si elles étaient là, avec nous. J’ai repensé aux plus de 300.000 victimes mentionnées dans le rapport de la Ciase. Notre prière était faite pour demander pardon à Dieu. Nous croyons qu’il peut, qu’il veut nous le donner. Nous ne demandions pas pardon aux personnes victimes. Nous ne pouvons pas demander ce pardon à des personnes qui ne sont pas encore capables de le donner."
"On peut parler d’apaisement, reconnaît Véronique Garnier. Mais cet apaisement pour aujourd’hui, je ne peux pas l’assurer pour demain." En début d’après-midi, quelques dizaines de fidèles se sont réunis, à Lourdes mais aussi à Paris, pour soutenir les victimes d’abus sexuels, et lire plusieurs témoignages, parfois très durs à entendre. "Je pense que beaucoup de catholiques commencent à se dire qu’il faut prendre des initiatives, parce que les victimes sont pour l’instant les seules à avoir le courage de parler, reconnaît Anne, venue de Toulouse. Il faut qu’elles sentent qu’elles sont soutenues, et que c’est grâce à elles que l’Église va bouger."
Quelques dizaines de personnes sont désormais rassemblées sur le parvis de la basilique du Rosaire, à #Lourdes. Des intervenants lisent les témoignages de victimes d’abus sexuels dans l’Église. #APLourdes pic.twitter.com/FwY5dv2VC5
— Clotilde Dumay (@clodumay) November 6, 2021
Mgr Luc Crepy écoute. "C’est toujours extrêmement fort et douloureux, avoue l’évêque de Versailles. D’autant plus quand un témoignage rappelle des faits un peu similaires dont vous avez eu connaissance." Il l’assure : "Nous allons passer à la mise en œuvre très concrète des recommandations de la Ciase." Une étape a été franchie, selon lui, lorsque les évêques ont reconnu, ce jeudi 5 novembre, la "responsabilité institutionnelle de l’Église" dans les violences subies par les victimes d’abus sexuels. "Maintenant, il faut aller plus loin", confirme Mgr Luc Crepy. Un échéancier des mesures à prendre pour mettre en œuvre les recommandations de la Ciase doit être défini d’ici la fin de l’assemblée plénière, soit lundi 8 novembre. Concernant les réparations financières pour les victimes, l’évêque de Versailles affirme qu’il "y aura une solidarité entre les diocèses". "On peut imaginer la vente de biens de l’Église ou d’autres solutions, poursuit-il, mais nous nous sommes engagés à réparer. On ne reviendra pas en arrière."
Avant de rendre ses décisions, l'assemblée plénière peut en tout cas s'appuyer sur le travail effectué, pendant presque deux jours, avec les 130 personnes (religieuses et religieux, prêtres, diacres, laïcs engagés dans des mouvements) invitées à partager leur ressenti vis-à-vis du rapport de la Ciase.
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