Comment les villes peuvent-elles agir à leur échelle pour leur sécurité ? C’est un défi qui est au cœur de la conférence internationale "Sécurité, démocratie et villes" qui s’est ouverte à Nice mercredi. Elle est organisée par le forum européen pour la sécurité urbaine. Les nouvelles technologies, comme la vidéosurveillance et la reconnaissance faciale, jouent un rôle dominant dans les politiques de sécurité des villes.
Nice n’a pas été choisie au hasard pour accueillir cette conférence "Sécurité, démocratie et villes". Elle est la ville qui compte le plus de caméras de vidéosurveillance en France. 3.900 caméras pour plus de 340.000 habitants. Elle dispose aussi de la plus grande police municipale en France avec 550 agents et 178 agents de surveillance de la voie publique (ASVP).
La sécurité est un sujet central de la politique du maire Christian Estrosi, qui a récemment quitté le parti des Républicains. D’autant plus que la ville de Nice a été le théâtre de deux attentats : celui de la promenade des anglais en 2016 et celui qui a eu lieu dans la basilique Notre-Dame de Nice l’an dernier.
Déjà très présente sur la vidéosurveillance, Nice veut aller encore plus loin en expérimentant la reconnaissance faciale. Ce n’est pas autorisé en France, seulement à titre expérimental mais la mairie voudrait pouvoir faire avancer la loi. Elle a expérimenté la reconnaissance faciale lors du carnaval de la ville en 2019.
"Si les services de l’Etat qui détiennent des fichiers notamment celui des personnes recherchées décidaient de nous mettre à disposition ce fichier, et bien, entre deux jumeaux, on est capable d’identifier celui qui aurait une fiche rentrée dans un ordinateur de celui qui ne l’aurait pas, ce qui faciliterait le travail de surveillance que doivent faire les services de renseignement", affirme Anthony Borré, le premier adjoint à la mairie de Nice en charge de la sécurité. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a quant à elle appelé à un débat public sur le sujet.
Beaucoup de villes se tournent vers le numérique pour gouverner. Plus encore dans certaines villes qui veulent devenir des "smart cities", des villes intelligentes. Elles promettent une gestion optimisée et souvent plus écologique de la ville grâce aux données de la population. En matière de sécurité, des logiciels promettent, grâce à l’analyse de données, de prévenir certains délits. Mais il est difficile de connaître leur efficacité. "Ces logiciels sont utilisés pas tant pour prédire le crime que pour organiser les tournées des forces de police sur le territoire. Aujourd’hui, la technologie est principalement utilisée pour optimiser la gestion des moyens humains notamment dans des contextes où il y a une baisse des ressources humaines", analyse Antoine Courmont, directeur scientifique de la chaire "Villes et numérique" de Sciences Po.
Avant la reconnaissance faciale, c’est surtout sur la vidéosurveillance que la ville de Nice se veut pionnière. Pour autant, est-ce vraiment efficace ? Ce n’est pas facile à mesurer. Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS et sociologue, a travaillé sur la question dans son enquête "Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance" (ed. Armand Collin). Selon lui, la vidéosurveillance ne fait que déplacer le problème. Il prend l’exemple d’un point de trafic de drogue qui serait repéré grâce à une nouvelle caméra. Mais une fois que les personnes seront arrêtées, le trafic se fera ailleurs, loin des caméras. "C’est un fusil à un coup. [...] C’est une espèce de jeu sans fin. On n’a rien résolu, on a juste déplacé le problème à un autre endroit", explique Laurent Mucchielli.
Sur le plan de la lutte contre le terrorisme, qui est souvent l’objectif affiché, là encore, l’efficacité n’est pas prouvée selon Laurent Mucchielli. Les deux attentats qui ont eu lieu à Nice n’ont pas été empêchés malgré les caméras. En particulier celui de 2016 où des repérages ont pu être effectués.
L’installation de caméras permet surtout de conférer un sentiment de sécurité à la population, ce qui en fait un atout pour les élus sur le plan politique. "Les populations sont en demande de ces technologies. Être en sécurité c’est différent de se sentir en sécurité. Il y a aussi une efficacité en matière politique. Les caméras permettent aux maires de montrer leur action en matière de sécurité puisque ces technologies sont particulièrement visibles", analyse Antoine Courmont.
La technologie ne peut en tout cas pas se substituer aux moyens humains. La ville de Nice compte beaucoup de caméras de vidéosurveillance et aussi une police municipale très développée. Mais d’autres villes ont parfois investi dans les caméras de vidéosurveillance, au détriment d’effectifs sur le terrain ou même d’associations de prévention. "Quand on ouvre une nouvelle ligne budgétaire, soit on en ferme une autre à côté soit on endette la ville. Celle qui ne s’endette pas va baisser les subventions municipales sur d’autres postes. Ça peut être des baisses de subventions à d’autres associations", a constaté Laurent Mucchielli.
Enfin, il faut bien sûr rappeler que le marché de la vidéosurveillance est un marché assez juteux autour de la surveillance, où les intérêts industriels se mêlent aux intérêts politiques.
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