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Il faut bien que je l’avoue, je ne suis pas totalement maniaque en matière de rangement. Non pas que j’aime le désordre, mais l’ordre absolu m’a toujours été étranger. Ranger pour ranger n’a pas grand sens à mes yeux. Que voulez-vous, c’est ainsi… Si je vous confie cela c’est parce qu’hier après-midi, afin de participer à une distribution de vivres aux plus pauvres d’entre nous, j’ai pu circuler dans les rues de Paris.
Dans les rues de Paris confiné où chacun doit être chez lui et où toute chose semble ainsi devoir être à sa place. J’ai découvert donc ce que devrait être un 'Paris rangé' où rien ne traîne, rien ne fait désordre. En matière de circulation, à part quelques bus et quelques livreurs, rien à redire, tout est nickel.
Mais sur la chaussée ce n’est pas tout à fait aussi clair. Aux très rares promeneurs que nul ne verrait tant ils sont peu nombreux, s’ajoutent des personnes immobiles que l’on n’avait jamais vues et qui deviennent d’un coup tellement présentes qu’on en reste incrédule.
Dans le Paris rangé à l’ère du confinement, il y a les milliers qu’on ne peut ranger nulle part. Hommes et femmes, parfois familles même, qui sont assis sur un trottoir où ils ne tendent plus la main, hagard le regard perdu sur quelques horizons invisibles pour nous : de toutes couleurs, de toutes races, de toutes religions.
Ils ne sont plus ensevelis sous la chape de bruits et de lumière de la vie moderne.
Ils ne sont plus cachés par les vitrines scintillantes sous lesquelles ils s’étendent.
Ils ne sont plus masqués par le vacarme des moteurs et la musique des bars.
Leurs pas hésitants ne font plus rire les étudiants enivrés, et leurs musiques parfois pénibles ne fait plus s’ouvrir les portemonnaies émus. Nous sommes chez nous. Mais eux, ils sont là. Les toilettes publiques sont fermées, les distributions de repas peinent à reprendre car on ne propose aucune protection à ceux qui les organiseraient. Les aumônes ont cessé et les tickets restaurant ne trouvent plus preneur.
Ils sont là. Incapable de savoir ce qui va se passer. Livrés à leurs seules présences. Laissés entre eux. Nous pouvons les regarder de notre balcon ou tirer nos rideaux. Nous pouvons aussi inventer des moyens de leur dire que nous les considérons comme nos frères. En leur descendant un repas par exemple, en chantant même pour eux depuis notre fenêtre ou en leur parlant, même de loin.
Bien sûr qu’il nous faut nous protéger et observer des précautions de bon aloi. Mais rien ne nous empêche d’oser imaginer dans ce monde nouveau qui, je l’espère, s’ouvre à nous en ces jours, des actes qui font un peu désordre mais qui pourraient bien être prophétiques du seul ordre qui vaille, l’ordre de la charité qui surpasse tout autre.
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