Ils sont 3000 à manifester sous un ciel gris et pluvieux. Beaucoup d’enfants avec leurs mères, pas mal d’adolescents aussi. Ils brandissent des banderoles où il est écrit dans un anglais simple des mots simples : "Nous voulons être évacués immédiatement car nous sommes exposés au Covid-19", "Le monde nous a abandonné", "Nous ne sommes pas en sécurité, s’il vous plait faites quelque chose pour nous"… Il y a les autres éléments du décor : policiers casqués et plutôt paisibles, armée de photographes de presse auxquels on présente des visages photogéniques.
C’est que, de l’avis général, il ne reste plus grand chose à faire que de lancer cet ultime SOS tant les promesses des Etats sont paroles creuses et leurs engagements trahis par leurs hésitations. Sur ces îles grecques, ces enfants n’ont sans doute plus qu’à mourir. En tout cas, cela arrangerait bien les choses pour un certain nombre de décideurs : vu comment on traite les cadavres aujourd’hui dans nos pays, on aurait encore moins de scrupules à ignorer ceux de ces apatrides sans noms. La France, dans sa mansuétude a accepté il y a quelques semaines d’accueillir quelques dizaines de ces enfants sur son territoire : voyez comme nous sommes humains. Hélas, depuis rien ne bouge : on murmure dans les couloirs des ministères concernés que, dans le contexte du confinement, les Français ne comprendraient pas qu’on fasse venir quelques dizaines de jeunes ainsi. Nous voici donc dans un système où l’on décide dans des couloirs de ce qui plairait ou non aux Français et où l’on préjugerait que nous sommes tellement peureux et calfeutrés que nous deviendrions incapables d’entendre un cri de détresse…
Un article du Monde, relayé ces derniers jours par nombre de ses confrères, décrit avec émotion la situation en Seine-Saint-Denis : on y risquerait, aux dires du Préfet, une pénurie alimentaire tant l’appauvrissement galopant y fait des ravages. Dans les interminables files d’attente, qu’on peut voir jusqu’au cœur de Paris, ce ne sont pas les SDF seulement qui se présentent, mais des salariés, des intérimaires, des retraités, des mamans avec leurs enfants. 17.000 repas chaque jour sont distribués dans la capitale et ce n’est pas assez. Chaque jour il y en a plus qui se présentent. Beaucoup cherchent à interpréter aujourd’hui les évènements qui nous bouleversent. Comme il y a un an lors de l’incendie de Notre-Dame, comme à chaque catastrophe, les prophètes amateurs décryptent et annoncent un châtiment divin ou un signe majeur d’un malheur plus grand encore à venir. "Vous n’aurez pas d’autre signe que celui de Jonas", dira Jésus aux éternels docteurs donneurs de leçons. Le signe de Jonas, est donc le seul signe à contempler, à rechercher. Quel est-il ? Celui de la Miséricorde. Dans les misères actuelles, refusons de contempler les signes de malheur. Ou plutôt éclairons-les de ce signe de la miséricorde que nous pouvons contempler dans toute cette générosité, cette fraternité qui pousse les uns et les autres à oser aimer, pardonner, consoler, relever. Oui le signe de la Miséricorde du Seigneur est à l’œuvre aujourd’hui et il fait reculer les signes du malheur.
La misère n’est jamais belle, elle n’est jamais télégénique. Le cri des pauvres n’est jamais mélodieux. Les mains tendues ne sont jamais celles que l’on songerait en premier lieu à serrer dans la sienne. Et pourtant… ces enfants échoués en Grèce, ces voisins qui culbutent dans l’indigence, qu’allons-nous leur dire ? Nous devons confiner nos corps pour éviter d’engorger les hôpitaux. Mais ne confinons pas nos cœurs ni nos intelligences sous peine de demeurer à jamais prisonniers de nous-mêmes.
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !