L’interpellation d’une avocate et d’un chroniqueur en Tunisie pour avoir critiqué la politique du pays témoigne du tournant autoritaire pris par le président Kaïs Saïed. Pour le sociologue et politologue Vincent Geisser, cette dérive menace le pays depuis 2021.
Après le coup d’Etat du 25 juillet 2021, le président tunisien Kaïs Saïed s’est approprié la totalité des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. Depuis, les restrictions de liberté se font de plus en plus nombreuses. Pour Vincent Geisser, s’ajoute à l'autoritarisme, une dérive complotiste et identitaire se manifestant par le rejet des étrangers sub-sahariens et la répression de la presse.
Kaïs Saïed a été élu en 2019 avec 70 % des voix. A l'époque, selon Vincent Geisser, il s’est positionné comme un “homme politique ordinaire à l’image de son peuple” et cela lui a été favorable.
Si "les dix années de démocratisation suivant la révolution en Tunisie, ont permis d’améliorer la liberté politique et de la presse constate le politologue, la question de la justice sociale a été oubliée et la question sécuritaire n’as pas été résolue". Cette situation a été “un terrain fertile pour développer le discours de légitimité du président auprès du peuple”. Vincent Geisser explique aussi que Kaïs Saïed s'est très vite affranchi des règles de droit et des règles constitutionnelles jusqu’à faire un coup d’Etat. Il s'est autorisé à penser qu’il pouvait renverser toutes les institutions en déclarant ouvertement que “la démocratie parlementaire est une importation de l’occident”.
Pour Vincent Geisser, le tournant autoritaire du président tunisien l'a conduit à une hostilité particulière à l’égard des personnes exilées originaires d’Afrique sub-saharienne. Pour Kaïs Saïed, “la venue de ces migrants relèverait d’un complot établi dans le but de réduire l’identité tunisienne". Selon le sociologue, le président les accuse de vouloir “africaniser la Tunisie, au détriment de l'héritage arabo-musulman". Il ajoute à cela une notion de “christianophobie", puisqu'une partie de cette communauté est chrétienne. La création de communautés chrétiennes et la présence d’églises sur le territoire s'inscrit pour Kaïs Saïed dans “un complot chrétien”.
La crise économique a fragilisé l’indépendance de nombreuses rédactions. La Tunisie est classée au 180e rang par Reporter Sans Frontière. Selon Vincent Geisser, le président tunisien interprète chaque critique comme un complot. Dans l’idée où “toute critique est assimilée à une désinformation, les risques de condamnation pénale menacent les journalistes". La dimension identitaire complète la méfiance conspirationniste, selon le sociologue, puisque “ces journalistes sont très cosmopolites, parlent plusieurs langues et ont parfois travaillé pour des médias étrangers”. Multipliant les hostilités à l’égard de ceux qu’ils jugent trop différents, Kaïs Saïed inscrit sa ligne de gouvernance dans “une exaltation d’un purisme identitaire tunisien”.
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