Belgique
À Manille, capitale des Philippines, vivent près d’1 million d'enfants des rues et quelques millions de familles vivant en bidonville. Ayant rompu tout lien avec leur famille, cela fait autant d’enfants livrés à eux-mêmes. Ils sont particulièrement vulnérables au travail forcé, à la prostitution infantile, aux grossesses précoces. Victimes de la violence, de la drogue, beaucoup manifestent des symptômes de dépression et d’anxiété. Au milieu de tout cela, le père Matthieu Dauchez, prêtre français ordonné pour le diocèse de Manille dirige l’association ANAK-Tnk qui signifie “Enfants, un pont pour l’enfance”. Que fait cette association qui célèbre son 25ème anniversaire ? Quelle place pour les enfants handicapés ? Quelles leçons de joie et de pardon ? Une rencontre inspirante au micro de Jacques Galloy.
L'association ANAK-Tnk s'engage à satisfaire les besoins essentiels d’enfants livrés à eux-mêmes. Leurs foyers sont conçus pour accueillir un large éventail de personnes, des tout-petits aux jeunes en situation de handicap, des étudiants et maintenant aussi de personnes âgées abandonnées.
Le père Matthieu explique : “Notre association accueille 2.000 enfants chaque jour dans une douzaine de petites écoles de jour. Ces enfants proviennent des familles des bidonvilles. Par ailleurs, nos 29 foyers accueillent 450 des rues. C’est l’effort le plus énergivore. Ils sont accueillis dans les centres de la fondation en permanence, comme comme un orphelinat. En fait, nous venons d’ouvrir notre 29e centre en août dernier. Nous suivons les besoins qui sont gigantesques et se sont accentués suite notamment à la crise du COVID. Nous maintenons une présence constante dans les rues pour aider les enfants à faire le choix de quitter la rue de leur propre gré. Nos éducateurs de rue et travailleurs sociaux établissent des liens de confiance en organisant des activités et des discussions.
Ils sont à l'origine un groupe de cinq personnes. En 1991, un père jésuite, initiateur de cette œuvre, un laïc qui est devenu le président de leur association, et trois séminaristes, parmi lesquels se trouvait le père Matthieu. Lorsqu'ils sont arrivés, il était évident qu'il y avait un besoin pressant d'aider les enfants les plus défavorisés de Manille. Leur objectif initial était de répondre à ces besoins immédiats. Au départ, leur approche était assez artisanale. Ils avaient une maison et une équipe d'éducateurs philippins ainsi que des assistantes sociales qui ont collaboré avec eux. Ce petit groupe a commencé à accueillir des enfants qui étaient totalement livrés à eux-mêmes dans les rues. Au fil du temps, ils ont ouvert un deuxième centre, puis un troisième, et aujourd'hui, ils en sont à leur 29e. Ils comptent réellement sur la providence et sur les prières pour continuer leur mission.
Le père Matthieu poursuit: “Lorsque je suis arrivé aux Philippines en 1998 en tant que séminariste, j'ai eu l'occasion de rencontrer le cardinal Sinn, alors archevêque de Manille et une figure influente en Asie. Il est décédé en 2005, en même temps que le pape Jean-Paul II. Lors de notre discussion, le cardinal Sinn m'a partagé une intuition importante : il croyait que le service envers les plus pauvres ne devrait pas être réservé uniquement aux religieux ou aux communautés, mais qu'il s'agissait du devoir de chaque prêtre et de chaque chrétien. En tant qu'archevêque de Manille, il considérait que les prêtres diocésains devaient également s'engager auprès des plus démunis. C'est ainsi qu'il m'a proposé de rejoindre le diocèse de Manille en tant que prêtre diocésain pour mettre mes talents et ma vocation au service des plus pauvres. Cela représentait un choix radical, impliquant de couper les liens avec la France, mais j'ai été ordonné prêtre à Manille en 2004 pour servir la Fondation. Ainsi, je suis un prêtre diocésain du diocèse de Manille, et les prêtres philippins ont l'habitude de dire que je suis de nationalité française, mais que je suis un prêtre philippin dans l'âme.”
D’abord, c'est l'expression d'une conviction évangélique profonde : le bonheur ne se trouve qu'en le partageant, la joie ne se découvre qu'en la donnant. C'est quelque chose dont il est témoin privilégié à Manille, et il souhaite le transmettre. Vous voulez être heureux ? Rendez l'autre heureux, c'est une évidence pour lui.
D’autre part, il revient en Europe en tant que mendiant de prières. Les enfants ont grandement besoin de prières, autant pour les enfants et les familles que la Fondation et ses collaborateurs. “Vos prières sont essentielles pour maintenir notre engagement à long terme. Il vous supplie donc de prier pour nous.”
L’objectif de la Fondation ANAK-Tnk est de restaurer la dignité de chaque enfant et de le préparer à un avenir meilleur. Environ vingt enfants résident dans chacun de leurs foyers, créant ainsi une ambiance familiale dans laquelle ils grandissent jusqu'à atteindre l'autonomie. Chaque enfant poursuit sa scolarité en fonction de sa personnalité et de ses capacités. Pour protéger les enfants les plus vulnérables aux dangers de la rue, tels que les gangs et la drogue, leur fondation a également ouvert une ferme de réhabilitation à l'extérieur de Manille. L’ambition de la Fondation est de les accompagner jusqu'à l'indépendance, comme une famille le ferait avec ses propres enfants.
Depuis quelques années, ils ont vu apparaître dans les rues de Manille aussi des personnes âgées abandonnées, tout simplement dans la capitale philippine. C'est une réalité à laquelle ils font face, et face à ces réalités, il est impératif d'agir. Le père Matthieu poursuit: “Il faut concrétiser les paroles par des actions, et cela vaut partout, pas seulement aux Philippines. L'Évangile appelle à servir son prochain, et plus encore, il nous enseigne que nous trouvons le bonheur en servant notre prochain, en les rendant heureux. La Fondation se consacre entièrement à répondre à cet appel, en identifiant les besoins dans les rues de Manille et en y apportant des réponses, ce qui constitue leur source de bonheur.”
Le père Matthieu Dauchez a deux grands saints qui l'ont vraiment beaucoup marqué, Saint Vincent de Paul et Mère Teresa. Ils ont certainement beaucoup poussé à son départ vers Manille et ce désir de servir les plus pauvres. Saint Vincent de Paul avait cette force et ce regard extraordinaire pour voir le Christ dans le plus pauvre, tandis que Mère Teresa l'a mis en application de façon très importante en Inde. Mère Teresa a particulièrement marqué notre époque en nous rappelant l'importance d'agir concrètement pour les plus démunis. Il explique: “Elle a évolué dans son action, initialement axée sur les bidonvilles de Calcutta, pour mettre l'accent sur la pauvreté présente à notre porte en Europe. Vous aurez remarqué qu'à la fin de sa vie, elle va beaucoup plus parler de Paris, de New York, de Londres. Elle va en fait beaucoup focaliser nos regards sur la misère qui est à notre porte en nous disant “regardez toutes ces personnes qui sont isolées, ces personnes seules que l'on oublie”. Il souligne que, malgré son travail à Manille, il partage le même idéal, celui d'aider la personne qui est devant lui, en incarnant une charité en acte.
Il a récemment vu le film "Sound of Freedom" avec Jim Caviezel, qui l'a profondément marqué. Le film dénonce l'exploitation et les abus contre les enfants, des réalités auxquelles il est confronté dans son travail. Le film l'a touché en montrant ces situations difficiles et l'impuissance face à ces prédateurs. Il pense que la sensibilisation à ces réalités peut faire bouger les choses.
Il partage également son admiration pour l'auteur Gustave Thibon, un philosophe autodidacte et paysan, dont la sagesse de la terre et du ciel l'a profondément influencé. Il recommande ses livres et souligne la simplicité de ses phrases empreintes de sagesse.
En ce qui concerne un lieu inspirant, il rêve de retourner en montagne, en particulier dans les Alpes, où il a passé son enfance à contempler le Mont Blanc et le pic du Midi. Il évoque un séjour isolé en montagne en Suisse, où il a vécu une expérience spirituelle intense en communion avec la nature et avec Dieu créateur. Il exprime son désir de retrouver la beauté de la création en montagne.
Sans hésitation, il affirme que c'est la prière. À son arrivée à Manille, il pensait que résoudre le problème des enfants des rues se résumerait à leur fournir des besoins matériels, tels qu'un nouveau t-shirt, trois repas par jour, une éducation et un avenir prometteur. Cependant, en travaillant avec ces enfants dans les rues de Manille, il a réalisé que le besoin le plus profond n'était pas matériel, mais intérieur. La blessure la plus profonde réside dans le cœur de ces enfants, la plupart d'entre eux ayant été trahis. Pour guérir ces cœurs blessés, il reconnaît son impuissance et sait que seul Dieu peut accomplir de vrais miracles. Plus il avance dans cette mission qui dure depuis 25 ans, plus il prend conscience de son impuissance et de sa condition de serviteur inutile de l'Évangile. La prière est donc son refuge, lui fournissant la force nécessaire pour affronter des situations extrêmes. Lorsqu'il rentre en Europe, il vient comme un mendiant, sollicitant avant tout les prières des autres, car il comprend l'importance de confier ces enfants au Seigneur pour qu'il guérisse leurs cœurs.
En plus de la prière, un autre élément essentiel qui les aide à tenir est la joie. Lorsque leur moral est au plus bas en raison des situations difficiles auxquelles ils sont confrontés, entrer dans l'un des foyers de la Fondation, imprégnés d'une atmosphère de joie authentique, les revitalise pour des semaines. Cette joie inexplicable et profonde chez les enfants malgré leurs épreuves est un mystère qui l'a profondément touché au fil des années, et il a même exploré cette question dans ses écrits. Donc, pour lui, les deux sources de renouvellement essentielles sont la prière et la joie.
Le père Matthieu Dauchez donne un témoignage à Bruxelles ce mercredi 18 octobre 2023 à l’église Notre-Dame de Stokel à 20h : “Résilience & Espérance. Leçons de vie édifiantes des enfants des rues de Manille vécues jour après jour depuis 25 ans.”
Plus d’informations:
https://www.anak-tnk.org
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